Ne parlons donc pas de compromis. N’imaginons pas davantage que M. Guesde ou M. Vaillant aient voulu rendre intenable la situation de M. Millerand au ministère et provoquer par cela même une dislocation du cabinet. Il y a loin de certains mots à certains actes. M. Millerand avait déjà reçu à Lille, dans la forteresse guesdiste, un accueil enthousiaste et cordial. Par un accord tacite, le Congrès même a écarté le point de vue d’où l’on ne pouvait pas ne pas blâmer M. Millerand. Il n’est pas douteux que M. Millerand, si mal définies que fussent encore au mois de juin dernier les règles de la discipline socialiste, avait violé cette discipline dans son essence. C’est là une faute que nul n’aurait excusée, si chacun ne s’était ingénié à la taire. Après le vote de principe, après l’amendement Guesde, quand un naïf et malheureux guesdiste est venu demander qu’on dépêchât à M. Millerand une délégation, pour le sommer de quitter le Ministère, avec quelle précipitation ses amis eux-mêmes ont couvert sa voix maladroite.
Je crois donc que M. Guesde n’a jamais voulu renverser M. Millerand. Et s’il faut dire toute ma pensée, je crois que même en juin dernier, si toute l’action du parti socialiste eût été subordonnée à la décision de M. Guesde, le chef du Parti Ouvrier n’eût pas agi autrement que n’a fait M. Jaurès ; je veux dire qu’après avoir tout fait pour détourner M. Millerand de sa résolution imprudente, une fois l’acte irrévocable, il l’eût couvert à contre-cœur, mais jusqu’au bout. Autre chose, est de récriminer après le danger, de s’armer contre un adversaire de défaillances théoriques, autre chose est d’agir, d’avoir le pouvoir, d’assumer la responsabilité. C’est pourquoi les majorités futures au Comité Directeur du Parti m’inquiètent peu. M. Guesde peut avoir ou avoir eu ses faiblesses. Mais il y a en lui des instincts et des passions sincères. Il est intelligent. Il sait que l’émancipation ouvrière est liée au salut de la République. Il n’eût pas compromis, il ne compromettra jamais, pour un moment d’irritation ou de rancune, l’avenir même du Prolétariat.
Quant à la majorité des délégués, elle sentait, avec plus ou moins de précision, que, si tout n’est pas changé en France depuis que M. Millerand est ministre, il y a néanmoins quelque chose de changé. Les délégués des syndicats apportaient des déclarations ou des constatations péremptoires. Enfin, toute l’assemblée comprenait confusément que l’acte de M. Millerand, une fois dégagé des circonstances et des considérations de personnes, n’était nullement en contradiction avec la notion révolutionnaire de la lutte de classe, mais qu’il était au contraire un exemple, un modèle, un type d’acte révolutionnaire. Quand nous songeons à la Révolution, à un acte révolutionnaire, nous avons une tendance naturelle à donner à ces mots un contenu tout historique, à les remplir des images, des souvenirs, des vengeances du passé. Nous revoyons Paris en feu, les barricades, les insurgés en haillons mâchant des balles, toute l’iconographie héroï-