Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/77

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déformation est le fait d’une farce résolue, qui constitue le spectacle même. Il est vrai que cette farce eût semblé plus légère si l’auteur avait pris soin de nous présenter Serpenteau, le meneur du jeu, avec toute la fantaisie dont pourtant, plus qu’aucun autre, il était capable. Pourquoi s’est-il embarrassé de tant de scrupules, si superflus, de semi-vraisemblance ? Son Serpenteau a le grand tort de n’être pas assez nettement extravagant et de ne pas amorcer d’un seul coup les multiples incidents de l’aventure. Il s’y prend à deux fois, en nous laissant inconsidérément le temps de souffler et d’apercevoir que la pièce en réalité comporte deux intrigues, dont l’une survient trop tard, en un troisième acte, plein de détails réjouissants, mais qui ne peuvent manquer de faire longueur, étant de préparation pure. Quant au dernier acte, il témoigne d’une fertilité d’invention, d’une puissance de comique de tout premier ordre. Voyez, par exemple, tout le parti que tire l’auteur de cette hypothèse du fou, si usée dirait-on. parce que si médiocrement utilisée par les vaudevillistes ordinaires ; ici elle semble s’imposer et rebondit normalement d’un acteur à l’autre, sans vulgarité et sans contrainte. Songez encore qu’en ce dernier acte, si ample et si animé, une nouvelle comédie, extrêmement savoureuse, s’ébauche encore autour du mariage nul, surgissant ainsi du dénouement même. Pareille prodigalité, parfois excessive puisqu’elle produit un certain effet de papillotement, n’en est pas moins des plus rares et permet de fonder tous les espoirs sur la carrière dramatique de M. Tristan Bernard.

Le gros de l’interprétation est plus que suffisant pour une troupe novice, dont les qualités de jeunesse rachètent bien des inexpériences : en particulier, MM. Mondos et Séverin méritent plus que des encouragements ; M. Rosemberg. si leste et plein d'entrain en Serpenteau, a droit à de sincères éloges. Les personnages épisodiques sont tenus par des comédiens plus exercés, tels que MM. Francès et Modot qui sont excellents de tous points. Les rôles de femmes, plus effacés, permettent néanmoins à Mlles Bignon, Richard et Sarthe de faire apprécier leur grâce et leur bonne volonté.

La direction de l’Odéon, qu’aucun échec ne déconcerte et qui poursuit vaillamment sa besogne vaine, ne pouvait hésiter à monter France... d’abord ! de M. Henri de Bornier. Le père de la Fille de Roland a voulu faire une œuvre d’apaisement : on peut certifier que ce dernier-né ne suscitera point de haines, encore moins de jalousies. Afin de parvenir à un aussi louable résultat, M. de Bornier a courageusement évité de choisir un sujet tant soit peu palpitant, de donner le moindre relief à ses péripéties, à ses vers la plus fugitive apparence de lyrisme. Il est arrivé à ses fins. Son drame, parfaitement incolore et insipide, si bien intentionné qu’il suffirait à paver toutes les chaussées infernales, réalise admirablement le pensum qu’il rêva balsamique à ces temps troublés. Ajoutons que M. de Bornier a trouvé en MM. Albert Lambert. Chelles et Marquet une