Page:La Revue blanche, t22, 1900.djvu/338

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l’œuvre de Rubens, qui représente, un peu de même sorte que cette tête de femme et cette vue de ville géminées dans une petite glace, l’impératrice (derrière elle ses enfants Octavie et Britannicus) et Rome casquée se regardant face à face. Le sardonyx est courbe et les deux bustes ont la posture de deux branches d’un candélabre.

D’après ce camée et un autre de Claude et Messaline gardés par deux dragons, l’impératrice est de visage exagérément rond, rond comme un sein ou tout ce que gonfle une force ; la bouche, toute petite, mange pourtant toute la figure, parce que les muscles des mâchoires sont énormes et faits pour servir un mufle de bête ; les narines larges, le nez de Cléopatre, héritage de Marc-Antoine, son bisaïeul (il arrive que l’amour impressionné d’un amant lègue les traits de la maîtresse aux enfants de l’épouse légitime). Pas belle en somme ; mais c’est que le feu des yeux s’est éteint dans le sardonyx mort. Et la beauté n’est-elle pas une mode ? Ou plutôt une forme dite belle est-elle autre chose qu’un vase de passion à qui on ne demande même pas de n’être pas fêlé, car c’est la meilleure transparence !

Sous le fin épiderme, écume des veines couleur de mer, Claude découvrait Vénus Anadyomène !

Et il n’était point étonné que l’impératrice se mît en balance avec la ville, puisqu’il y avait bien un culte parallèle de Vénus et de la Ville. Et même sans cela, Auguste n’avait-il point exprimé cette volonté, que le culte de Rome fût toujours associé à celui de l’empereur ? Smyrne éleva le premier temple à la Ville, Caton l’Ancien consul, l’an 559 ; vingt-quatre ans après, Alabanda, le second, sur le modèle des temples de Vénus, et les premiers poètes chrétiens ont pu écrire :

Son culte est sanglant, à elle [Rome]
De même sorte qu’à une déesse, et le lieu est pris pour un dieu ;
Et de la Ville et de Vénus s’élèvent d’une égale hauteur
Les temples, et c’est ensemble que fument les encens vers les déesses
jumelles.

Donc, ainsi que toute femme se mire avec complaisance, Messaline contemple dans sa glace à main les massifs, parterres de buis en tableaux, ifs taillés, chaumières, priapes du Jardin, moins nombreux que les épingles de sa coiffure et ses gemmes.