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le « tourniquet »
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plinaires où il y avait une tinette. Legras insista, le sergent refusa non seulement de le laisser s’absenter, mais lui dit : « C… dans votre culotte si vous voulez ; je m’en fous pas mal », et il lui donna l’ordre de se taire devant deux témoins. Legras, n’en pouvant plus, partit en courant. Le sergent Robert lui donna trois fois l’ordre formel de s’arrêter, mais Legras ne tint pas compte de cette injonction ; à son retour des latrines, il fut jeté en cellule, en prévention de conseil. Après une quarantaine de jours de cellule, Legras eut la chance d’être acquitté par le conseil de guerre de Tunis.

Cet acquittement est une exception.

Autre fait :

En détachement à Ain-Maider en 1896, je fus témoin du refus suivant :

Le détachement dont je faisais partie et qui s’intitulait détachement de Zarzis, était cantonné dans le bordj d’Aïn-Maider. C’étaient le même sergent Robert et le sergent Vanacher qui en avaient le commandement ; ils avaient fait camper les punis de prison et de cellule dans la cour du bordj. Un dimanche, le sergent Robert donna, à six heures du matin, l’ordre formel aux bagneux de rester sous leurs tombeaux sans même passer la tête dehors.

Un puni de prison, le disciplinaire Fèvre, eut, vers midi, un besoin à satisfaire : il appela le sergent pour lui demander l’autorisation nécessaire ; le sergent dormait ou feignait de dormir, il ne répondit pas. Après avoir attendu près d’un quart d’heure, Fèvre sortit de son guignol et alla à l’édicule qui était à trois mètres de là dans la cour même du bordj. Aussitôt, le sergent Robert, réveillé brusquement, arriva, fit une ronde à la muette, alla chercher deux témoins, leur fait constater que Fèvre n’était ni dans son guignol, ni dans la cour du bordj.

Fèvre, entendant la voix du sergent, sortit vivement de l’édicule et essaya de se justifier. Il fut mis immédiatement au régime de la cellule, en prévention de conseil. Quinze jours durant, il s’attendait, chaque matin, à être transféré à Médénine pour être dirigé sur Tunis. Enfin, le capitaine envoya un ordre de non-poursuite. Le rapport du sergent n’avait pas suffisamment établi les faits, mais, en même temps, fut infligé à Fèvre, une punition de soixante jours de prison pour refus d’obéissance insuffisamment établi.

En 1897, un détachement de la 1re fut envoyé pour achever la route conduisant d’El-Guettar au poste optique de l’Orbate. Un disciplinaire fut mis en prévention de conseil pour avoir désobéi aux trois ordres formels du sergent Veau ; les ordres lui intimaient l’injonction d’avoir à desceller tout seul, avec sa pince à riper, un bloc de rocher encastré dans la terre et à peu près d’un mètre cube.

L’ordre formel m’a été donné dans les circonstances suivantes :

Un soir que j’assistais au cours, le caporal Peraldi vint me requérir pour aller à la corvée de lampes. Avec un autre disciplinaire, je fus chargé de porter une échelle fort lourde et longue d’environ cinq mètres, le disciplinaire qui marchait en avant avait un pas très irrégulier, fort difficile à suivre ; il faisait très noir et le port de l’échelle m’empêchait de contrôler sa marche ; le disciplinaire, par sa servilité, se faisait bien voir des gradés. Il se plaignit que les secousses imprimées à l’échelle par notre marche saccadée, lui meurtrissaient les épaules. Le caporal Peraldi marcha alors à côté de moi, flanqué de deux témoins et me donna l’ordre formel de prendre le pas de mon camarade. Sa-