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Page:La Revue blanche, t22, 1900.djvu/630

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la revue blanche



chant qu’il ne fallait pas badiner, je fis tous mes efforts pour régler mon pas ; deux ordres formels avaient déjà été prononcés, lorsqu’un heureux hasard voulut que l’autre disciplinaire buttât au moment du troisième ordre ; l’arrêt forcé me permit de lever le pied droit en même temps que lui. Une motte de terre m’avait sauvé du conseil de guerre.

Pour clore cette série, nous relaterons l’affaire du disciplinaire Foucault, fusilier à la 3e compagnie de discipline à Mécheria.

Affaire Foucault. — Un disciplinaire appelé Foucault était en cellule et aux fers lorsque le sergent Ricardy entra dans le cachot sous un prétexte quelconque.

Ricardy portait une haine singulière à Foucault qui en avait ressenti très souvent les effets.

Brusquement, le sergent engagea ! a conversation :

— Dites donc, Foucault, est-ce que vous avez des parents ?

Le disciplinaire, croyant qu’une telle question était l’indice d’un revirement dans l’esprit du gradé, répondit :

— Mais oui, sergent, j’ai mes parents, j’ai un frère.

— Ah ! eh bien, vous feriez mieux de vous taire.

Il appuya fortement sur ce dernier mot et reprit, en baissant la voix :

— Mais vous n’avez pas que votre frère, je suppose ?

— Sergent, je vous dis que j’ai mon père, ma mère.

— Je vous dis moi que vous feriez mieux de vous taire.

Et le mot taire sonnait dans la cellule.

— Mais, sergent, vous me questionnez, je vous réponds.

Pour la troisième fois, je vous donne l’ordre formel de vous taire, cria le sergent.

— Mais, sergent, je vous réponds.

Embusqués dans le couloir, étaient deux témoins qui déclarèrent avoir entendu les trois ordres de se taire donnés par le sergent à Foucault. Celui-ci passa devant le conseil de guerre d’Oran et fut condamné à deux ans de pénitencier pour refus d’obéissance. Il est en ce moment au pénitencier d’Oran.

Les témoins n’avaient-ils véritablement entendu que le mot taire crié par le sergent à la fin des deux premières phrases avant le troisième ordre formel, crurent-ils de bonne foi que les trois ordres formels avaient été régulièrement donnés ? étaient-ils de complicité avec le sergent pour envoyer au bagne un de leurs camarades et obtenir à ce prix une sortie de faveur ?

Les deux suppositions sont plausibles, mais la dernière est plus conforme aux mœurs disciplinaires. Ils ne sont pas rares là-bas ceux qui cèdent a l’appât donné par le règlement et exploité avec fruit par les gradés qui arment ainsi l’esclave contre l’esclave.

Le refus d’obéissance n’est pas toujours cherché par le gradé ; souvent c’est le disciplinaire qui veut refuser.

C’est dans l’explication de ces suicides moraux, qu’éclate toute la terrifiante oppression du régime qui les engendre.

Oui, il y a des disciplinaires qui veulent passer au conseil de guerre ; oui, il y a des disciplinaires qui veulent aller sombrer dans les pénitenciers, dans les ateliers de travaux publics, et à ceux qui