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tons avec joie répéter toutes ces horreurs, sans nous représenter le terrible bouleversement moral qui s’accomplit alors dans son âme. Nous pensons que l’âme d’un enfant est une table rase sur laquelle il nous est permis de graver ce que bon nous semble.

Or cela n’est pas vrai. L’enfant a une confuse idée du principe de toutes choses, de la cause de son existence et de la force dont il subit la puissance. Il a une conception élevée, vague, intraduisible par des mots, mais avouée par tout son être, du principe propre à l’homme raisonnable. Et voici qu’on vient lui dire que le véritable principe des choses est tout bonnement un être personnel, capricieux, terrible et méchant — le dieu juif.

L’enfant a une idée tout à la fois confuse et vraie du but de cette vie, qu’il voit dans le bonheur réalisé par l’amour des hommes les uns pour les autres. Et voici qu’on vient lui dire que le but universel de la vie est de satisfaire au caprice d’une divinité despotique et que le but particulier de chaque homme est de se soustraire aux châtiments éternels, aux tourments que mérita je ne sais plus quel coupable et que ce dieu a imposés à tous les hommes.

Tout enfant a conscience que les obligations de l’homme sont complexes et qu’elles ont un caractère moral. Et voici qu’où vient lui dire que ses obligations principales consistent à croire aveuglément, à prier, c’est-à-dire à prononcer des paroles convenues à des heures convenues, à avaler une sorte de soupe, faite de pain et de vin, qui doit lui représenter la chair et le sang de son dieu.

Et je ne parle pas des icônes, des miracles, des récits immoraux de la Bible, présentée comme un miroir de belles actions. Je ne dis rien non plus des prodiges de l’Évangile ni de la signification immorale que nous donnons à toute cette histoire. Il ne serait pas cependant plus extravagant de composer du cycle des « bylines » russes — des aventures de Dobrynia, de Diouk et de leurs compagnons, en y joignant celles d’Iérouslane Lazarévitch — un tout systématique que l’on ferait apprendre aux enfants comme une histoire raisonnable.

Il nous semble que tout cela n’a pas grande importance, et cependant le fait d’enseigner aux enfants, comme cela continue de se faire parmi nous, cette prétendue loi divine — constitue le plus horrible crime qui se puisse imaginer. La persécution, le meurtre, le viol d’un enfant ne sont rien auprès de cela.

Les gouvernements, les classes dirigeantes, qui détiennent la puissance, sont intéressés à ce mensonge ; car leur puissance y est indissolublement liée. Aussi les classes dirigeantes travaillent-elles sans cesse à faire agir sur les enfants le prestige de ces fictions et redoublent-elles d’efforts pour que leur influence hypnotique se continue sur les adultes. Quiconque, loin de désirer le maintien d’un ordre social artificiel, en souhaite au contraire la transformation, quiconque surtout aspire à faire du bien aux enfants qui vivent dans son entourage — doit tendre de toutes ses forces à délivrer les enfants de cette terrible duperie.