Page:La Revue blanche, t23, 1900.djvu/374

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Laissez-moi faire observer que toutes ces filles n’avaient pas été tuées dès leur berceau. Je suis indigné, quand je songe à cette croyance, populaire en Amérique, que les filles chinoises sont généralement condamnées à la mort, parce que leurs parents n’éprouvaient pas le besoin de les voir naître. Rien n’est plus éloigné de la vérité. Dans un pays comme la Chine, où les femmes n’apparaissent pas dans la vie publique, il faut comprendre que les garçons sont plus désirés, pour ces très bons motifs que l’honneur et la renommée de la famille reposent sur eux, et que le culte des ancêtres nécessite plutôt la naissance des fils, qui le perpétueront.

J’arrive à dire que, proportionnellement à la population et à la richesse, l’infanticide est aussi rare en Chine que dans ce pays. Le peuple tout à fait pauvre, ne trouvant qu’avec difficulté le moyen d’entretenir ceux qui sont en vie, aime mieux émigrer avec ses enfants que de les voir lentement dépérir jusqu’à la mort. Dans cette classe les petites filles sont plus souvent sacrifiées, en ce sens que les garçons, fréquemment, sont adoptés par des personnes riches et sans progéniture, tandis que le sexe féminin a rarement la chance de l’adoption. Mais il est bien entendu que, dans chaque ville riche, sont établis des hôpitaux d’enfants, dans lesquels ces épaves sont gardées et relevées, au moyen d’apports fournis par les braves gens.

Les mêmes cérémonies qui correspondent au baptême sont observées pour les filles, et quoique les amis en puissent secrètement grommeler, ils apportent nécessairement les présents d’usage, vêtements, joaillerie, pieds de cochon.

En dépit de la contrainte qui opprime tous les enfants chinois, nous passions, garçonnets et fillettes, quelques bonnes heures ensemble. Parmi les garçons étaient mes deux frères et toute une bande de cousins à peu près de mon âge. Nous jouions au berceau-du-chat, à minon-minette, au jonchet, aux osselets, les filles (toutes de quatre à huit ans) prenant le plus grand intérêt à nos jeux.

Lorsque des hommes considérables de notre famille étaient présents, nous, nous restions assis aussi tranquilles que des souris ; nous demeurions comme des moines et des nonnettes.

Dans les jeux qui exigent de la dextérité et de la vivacité, nous, garçons, nous l’emportions ; mais lorsqu’on arrivait aux jeux qui veulent de l’adresse, de la patience, de la promptitude d’esprit et de la délicatesse de touche, nous étions vaincus par les filles.

Mainte querelle soulevait parmi nous des discordes. Souvent quelqu’un de la bande ne voulait plus parler à un autre ou prétendait scinder notre groupe par l’accusation de déloyauté dans le jeu. Toutes ces petites disputes semblent de grande importance alors. Mais l’enfant dont le cœur se gonfle d’indignation devant ce qui blesse son sentiment de la justice a des chances de devenir un homme juste en tout.

Mais notre principal amusement, notre délice était d’écouter des histoires, surtout des histoires de fées et de fantômes. Oh ! les contes qui figeaient le sang, quand nous avions la bonne fortune de les