Page:La Revue blanche, t23, 1900.djvu/575

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pétuellement froissé par l’existence que je menais et par le contact des autres, avait occasionné en moi une irritation nerveuse qui me rendait véhément et emporté comme le taureau malade de la piqûre des insectes. — J’avais des rêves, des cauchemars affreux.)

Ô la triste et maussade époque ! Je me vois encore errant, seul, dans les longs corridors blanchis de mon collège, à regarder les hiboux et les corneilles s’envoler des combles de la chapelle, ou bien, couché dans ces mornes dortoirs éclairés par la lampe dont l’huile se gelait, dans les nuits, j’écoutais longtemps le vent qui soufflait lugubrement dans les longs appartements vides, et qui sifflait dans les serrures en faisant trembler les vitres dans leurs châssis ; j’entendais les pas de l’homme de ronde qui marchait lentement avec sa lanterne, et, quand il venait près de moi, je faisais semblant d’être endormi et je m’endormais en effet, moitié dans les rêves, moitié dans les pleurs.


IV

C’étaient d’effroyables visions à rendre fou de terreur.

J’étais couché dans la maison de mon père ; tous les meubles étaient conservés, mais tout ce qui m’entourait cependant avait une teinte noire. — C’était une nuit d’hiver, et la neige jetait une clarté blanche dans ma chambre ; tout à coup la neige se fondit et les herbes et les arbres prirent une teinte rousse et brûlée comme si un incendie eût éclairé mes fenêtres ; j’entendis des bruits de pas — on montait l’escalier — un air chaud, une vapeur fétide monta jusqu’à moi — ma porte s’ouvrit d’elle-même. On entra, ils étaient beaucoup, peut-être sept à huit, je n’eus pas le temps de les compter. Ils étaient petits ou grands, couverts de barbes noires et rudes — sans armes, mais tous avaient une lame d’acier entre les dents, et comme ils s’approchèrent en cercle autour de mon berceau, leurs dents vinrent à claquer et ce fut horrible. — Ils écartèrent mes rideaux blancs et chaque doigt laissait une trace de sang ; ils me regardèrent avec de grands yeux fixes et sans paupières ; je les regardai aussi ; je ne pouvais faire aucun mouvement — je voulus crier.

Il me sembla alors que la maison se levait de ses fondements, comme si un levier l’eût soulevée.

Ils me regardèrent aussi longtemps, puis ils s’écartèrent et je vis que tous avaient un côté du visage sans peau et qui saignait lentement. — Ils soulevèrent tous mes vêtements et