Page:La Revue blanche, t23, 1900.djvu/602

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tesse la plus diverse, la plus une. Rien des singularités de M. Wilde. Son idée du Beau, la Beauté, l’Esprit, sans plus… De l’idéal, en mieux… du rare… de l’impossible… Et notre amour de Dieu crevait les voûtes de l’église…

…Je ne puis ici juger et louer Oscar Wilde. Il faudra des mois et des pages pour tâcher à saisir et caractériser son étrange génie. On ne le retrouvera pas dans ses écrits. C’est spirituel et sublime, mais trop menu pour lui. C’était sa pensée, l’ombre de son verbe lumineux. Il faut imaginer quelqu’un qui sait tout et qui dit tout, en mieux. Un Brummel qui serait Brummel jusque dans le génie. Et qui perfectionnerait la honte et le malheur. On se rappelle que Salomé est, en français, après ses autres mérites, bien écrite. Il avait de l’orthographe et du style dans tous les parlers. Et personne, plus que lui, ne crut à l’Art.

Je veux terminer cette oraison sur sa simplicité. M. Wilde, qui a tant souffert, souffrait de sa réputation d’affectation. Le plus sûr souvenir que je garderai de lui est celui d’une soirée d’été où je l’attendris sur sa famille. Il n’aimait pas discourir de ces trésors perdus. Ce soir-là, avec un compagnon qui n’avait pas de goûts et dont la mélancolie était commune, M. Wilde ne se gêna pas pour se lamenter en père. Tandis qu’il me contait la conversion au catholicisme de son fils Vivian qui avait déclaré simplement à son tuteur : « Je suis catholique », il ajoutait joyeusement : « Et Vivian, à douze ans, se couche sur un canapé et, quand on veut le déranger, déclare : « Laissez-moi, — je pense ! » Et avec mon geste à moi, le geste qu’on a tant attaqué, dont on a tant dit qu’il était artificiel » C’était le commencement d’une réhabilitation — pour la foule.

Et maintenant le petit-fils de ce Mathurin qu’admirait Balzac, et auquel le déchu avait pris son fatal pseudonyme de Sébastien Melmoth, le fils de ce couple Wilde érudit et noble, le filleul du roi de Suède, dort mal dans un cimetière assez lointain pour décourager les pèlerinages et la prière. À peine si l’écho de contes adaptés le réveillera ou le bercera. À peine si, de temps en temps, un scandale lui apportera son nom mort, ombre d’une injure.

J’espère qu’il me pardonnera cette oraison, où j’ai voulu mêler de l’histoire, de l’émotion, de la justice et le témoignage sans malice d’un ami des mauvais jours, qui n’est ni un esthète, ni un cynique, et qui le salue humblement, tranquillement, dans son silence et son repos.

Ernest La Jeunesse