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Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/122

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dans l’histoire, un vers de moins dans l’élégie. Plusieurs temps passèrent donc de la sorte. Au mois de mai, la mère de ces jeunes filles vint en France conduire leur frère. C’était un charmant garçon, blond comme elle et pétillant de gaminerie et d’orgueil britannique.

Leur mère était une femme pâle, maigre et nonchalante. Elle était vêtue de noir ; ses manières et ses paroles, sa tenue avaient un air nonchalant, un peu mollasse, il est vrai, mais qui ressemblait au farniente italien. Tout cela cependant était parfumé de bon goût, reluisant d’un vernis aristocratique. Elle resta un mois en France.

…Puis elle repartit et nous vécûmes ainsi comme si tous étaient de la famille, allant toujours ensemble dans nos promenades, nos vacances, nos congés.

Nous étions tous frères et sœurs.

Il y avait dans nos rapports de chaque jour tant de grâce et d’effusion, d’intimité et de laisser aller, que cela peut-être dégénéra en amour, de sa part du moins, et j’en eus des preuves évidentes.

Pour moi, je peux me donner le rôle d’un homme moral, car je n’avais point de passion. — Je l’aurais bien voulu.

Souvent, elle venait vers moi, me prenait autour de la taille, elle me regardait, elle causait — la charmante petite fille ; — elle me demandait des livres, des pièces de théâtre dont elle ne m’a rendu qu’un fort petit nombre. — Elle montait dans ma chambre. J’étais assez embarrassé. Pouvais-je supposer tant d’audace dans une femme ou tant de naïveté ? Un jour, elle se coucha sur mon canapé dans une position très équivoque ; j’étais assis près d’elle sans rien dire.

Certes, le moment était critique : je n’en profitai pas.

Je la laissai partir.

D’autres fois, elle m’embrassait en pleurant. Je ne pouvais croire qu’elle m’aimait réellement. Ernest en était persuadé, il me le faisait remarquer, me traitait d’imbécile.

Tandis que vraiment j’étais tout à la fois timide et nonchalant.

C’était quelque chose de doux, d’enfantin, qu’aucune idée de possession ne ternissait, mais qui, par cela même manquait d’énergie ; c’était trop niais cependant pour être du platonisme.

Au bout d’un an, leur mère vint habiter la France ; puis au bout d’un mois elle repartit pour l’Angleterre.