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Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/186

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XXI


J’y revins deux ans plus tard ; vous pensez où : elle n’y était pas.

Son mari était seul, venu avec une autre femme, et il en était parti deux jours avant mon arrivée.

Je retournai sur le rivage ; comme il était vide ! De là, je pouvais voir le mur gris de la maison de Maria ; quel isolement !

Je revins donc dans cette même salle dont je vous ai parlé ; elle était pleine, mais aucun des visages n’y était plus, les tables étaient prises par des gens que je n’avais jamais vus ; celle de Maria était occupée par une vieille femme qui s’appuyait à cette même place où si souvent son coude s’était posé. Je restai ainsi quinze jours ; il fit quelques jours de mauvais temps et de pluie que je passai dans ma chambre où j’entendais la pluie tomber sur les ardoises, le bruit lointain de la mer, et, de temps en temps, quelque cri de marins sur le quai. — Je repensai à toutes ces vieilles choses que le spectacle des mêmes lieux faisait revivre.

Je revoyais le même océan avec ses mêmes vagues, toujours immense, triste et mugissant sur ses rochers ; ce même village avec ses tas de boue, ses coquilles qu’on foule, et ses maisons en étage. — Mais tout ce que j’avais aimé, tout ce qui entourait Maria, ce beau soleil qui passait à travers les auvents et qui dorait sa peau, l’air qui l’entourait, le monde qui passait près d’elle, tout cela était parti sans retour.

Quoi ! rien de tout cela ne reviendra ? Je sens comme mon cœur est vide, car tous ces hommes qui m’entourent me font un désert où je meurs.

Je me rappelai ces longues et chaudes après-midi d’été où je lui parlais sans qu’elle se doutât que je l’aimais, et où son regard indifférent entrait comme un rayon d’amour jusqu’au fond de mon cœur. Comment aurait-elle pu en effet voir que je l’aimais, car je ne l’aimais pas alors, et en tout ce que je vous ai dit, j’ai menti ; c’était maintenant que je l’aimais, que je la désirais ; que, seul sur le rivage, dans les bois ou dans les champs, je me la créais là, marchant à côté de moi, me parlant, me regardant. Quand je me couchais sur l’herbe, et que je regardais les herbes ployer sous le vent et la vague battre le sable, je pensais à elle, et je reconstruisais dans mon cœur toutes les scènes où elle avait agi, parlé. Ces souvenirs étaient une passion.