Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/187

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Si je me rappelais l’avoir vue marcher en un endroit, j’y marchais ; j’ai voulu retrouver le timbre de sa voix pour m’enchanter moi-même ; cela était impossible. Que de fois j’ai passé devant sa maison et j’ai regardé à sa fenêtre !

Je passai donc ces quinze jours dans une contemplation amoureuse, rêvant à elle. Je me rappelle des choses navrantes ; un jour, je revenais, vers le crépuscule, je marchais à travers les pâturages couverts de bœufs, je marchais vite, je n’entendais que le bruit de ma marche qui froissait l’herbe, j’avais la tête baissée et je regardais la terre. Ce mouvement régulier m’ endormit pour ainsi dire, je crus entendre Maria marcher près de moi ; elle me tenait le bras et tournait la tête pour me voir, c’était elle qui marchait dans les herbes. Je savais bien que c’était une hallucination que j’animais moi-même, mais je ne pouvais me défendre d’en sourire et je me sentais heureux. Je levai la tête, le temps était sombre ; devant moi, à l’horizon, un magnifique soleil se couchait sous les vagues, on voyait une gerbe de feu s’élever en réseaux, disparaître sous de gros nuages noirs qui roulaient péniblement sur eux, et puis un reflet de ce soleil couchant reparaître plus loin derrière moi dans un coin du ciel limpide et bleu.

Quand je découvris la mer, il avait presque disparu ; son disque était à moitié enfoncé sous l’eau et une légère teinte de rose allait s’élargissant et s’affaiblissant vers le ciel.

Une autre fois, je revenais à cheval en longeant la grève. Je regardais machinalement les vagues dont la mousse mouillait les pieds de ma jument, je regardais les cailloux qu’elle faisait jaillir en marchant et ses pieds s’enfoncer dans le sable ; le soleil venait de disparaître tout à coup et il y avait sur les vagues une couleur sombre comme si quelque chose de noir eût plané sur elles. À ma droite, étaient des rochers entre lesquels la mousse s’agitait au souffle du vent comme une mer de neige, les mouettes passaient sur ma tête et je voyais leurs ailes blanches s’approcher tout près de cette eau sombre et terne. Rien ne pourra dire tout ce que cela avait de beau, cette mer, ce rivage avec son sable parsemé de coquilles, avec ses rochers couverts de varechs humides d’eau, et la mousse blanche qui se balançait sur eux au souffle de la brise.

Je vous dirais bien d’autres choses, bien plus belles et plus douces, si je pouvais dire tout ce que je ressentis d’amour, d’extase, de regrets. Pouvez-vous dire par des mots le battement du cœur, pouvez-vous dire une larme, et peindre