Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/34

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cette poitrine ! Il me semblait que si j’eusse posé mes lèvres, mes dents l’auraient mordue de rage, et mon cœur se fondait en délices en pensant aux voluptés que donnerait ce baiser.

Ô comme je l’ai revue longtemps, cette gorge palpitante, ce long cou gracieux et cette tête penchée avec ses cheveux noirs en papillotes vers cette enfant qui tétait, et qu’elle berçait lentement sur ses genoux en fredonnant un air italien !


XII


Nous fîmes bientôt une connaissance plus intime…

Son mari tenait le milieu entre l’artiste et le commis voyageur : il était orné de moustaches ; il fumait intrépidement, était vif, bon garçon, amical ; il ne méprisait point la table et je le vis une fois faire trois lieues à pied pour aller chercher un melon à la ville la plus voisine ; il était venu dans sa chaise de poste avec son chien, sa femme, son enfant et vingt-cinq bouteilles de vin du Rhin.

Aux bains de mer, à la campagne ou en voyage, on se parle plus facilement, on désire se connaître ; un rien suffit pour la conversation, la pluie et le beau temps bien plus qu’ailleurs y tiennent place. On se récrie sur l’incommodité des logements, sur le détestable de la cuisine d’auberge. Ce dernier trait surtout est du meilleur ton possible. Ô le linge, — est-il sale ? C’est trop poivré ; c’est trop épicé ! Ah ! l’horreur ! ma chère.

Va-t-on ensemble à la promenade, c’est à qui s’extasiera davantage sur la beauté du paysage. — Que c’est beau, que la mer est belle.

Joignez à cela quelques mots poétiques et boursouflés, deux ou trois réflexions philosophiques entrelardées de soupirs et d’aspirations du nez plus ou moins fortes. Si vous savez dessiner, tirez votre album en maroquin, — ou, ce qui est mieux, enfoncez votre casquette sur les yeux, croisez-vous les bras et dormez pour faire semblant de penser.

Il y a des femmes que j’ai flairées belle esprit à un quart de lieue loin, seulement à la manière dont elles regardaient la vague.

Il faudra vous plaindre des hommes, manger peu et vous passionner pour un rocher, admirer un pré et vous mourir d’amour pour la mer. Ah ! vous serez délicieux alors, on dira : Le charmant jeune homme ! — quelle jolie blouse il a ! comme ses bottes sont fines ! quelle grâce ! la belle âme !