Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

C’est ce besoin de parler, cet instinct d’aller en troupeau où les plus hardis marchent en tête qui a fait, dans l’origine, les sociétés et qui de nos jours forme les réunions.

Ce fut sans doute un pareil motif qui nous fit causer pour la première fois. C’était l’après-midi, il faisait chaud et le soleil dardait dans la salle malgré les auvents. Nous étions restés, quelques peintres, Maria et son mari et moi, étendus sur des chaises à fumer, en buvant du grog.

Maria fumait, ou du moins, si un reste de sottise féminine l’en empêchait, elle aimait l’odeur du tabac (monstruosité !) ; elle me donna même des cigarettes.

On causa littérature, sujet inépuisable avec les femmes. — J’y pris ma part, — je parlai longuement et avec feu. — Maria et moi étions parfaitement du même sentiment en fait d’art. Je n’ai jamais entendu personne le sentir avec plus de naïveté et avec moins de prétention. Elle avait des mots simples et expressifs qui partaient en relief et surtout avec tant de négligé et de grâce, tant d’abandon, de nonchalance, — vous auriez dit qu’elle chantait.

Un soir, son mari nous proposa une partie de barque. — Il faisait le plus beau temps du monde. Nous acceptâmes.


XIII


Comment rendre par des mots ces choses pour lesquelles il n’y a pas de langage, ces impressions du cœur, ces mystères de l’âme inconnus à elle-même, comment vous dirai-je tout ce que j’ai ressenti, tout ce que j’ai pensé, toutes les choses dont j’ai joui cette soirée-là ?

C’était une belle nuit d’été ; vers neuf heures, nous montâmes sur la chaloupe, — on rangea les avirons, nous partîmes. Le temps était calme, la lune se reflétait sur la surface unie de l’eau et le sillon de la barque faisait vaciller son image sur les flots. La marée se mit à remonter et nous sentîmes les premières vagues bercer lentement la chaloupe. On se taisait, — Maria se mit à parler. — Je ne sais ce qu’elle dit, je me laissais enchanter par le son de ses paroles comme je me laissais bercer par la mer. — Elle était près de moi, je sentais le contour de son épaule et le contact de sa robe ; elle levait son regard vers le ciel, pur, étoilé, resplendissant de diamants et se mirant dans les vagues bleues.

C’était un ange — à la voir ainsi la tête levée avec ce regard céleste.