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la revue blanche



à travers la peau. Lorsqu’il revint à lui, la douleur lui arracha de nouveaux cris.

Le sergent Gérôme sortait à ce moment de l’hôpital. De loin, il cria à Bernard : « Bâillonnez-le ». Aussitôt, Bernard, prenant un mouchoir dans la poche du disciplinaire Camus, bâillonna Pilardo et, le couchant sur le dos, le laissa nu-tête en plein soleil, avec les poucettes, le bâillon, son sac de 24 kilos toujours serré sur les épaules. Du temps passa ; enfin Bernard revint défaire le bâillon, et Pilardo dut reprendre le bal, les poucettes aux mains. Il fut puni de quinze jours de prison pour s’être fait porter malade et n’avoir pas été reconnu.

Au camp de Diégo-Suarez, le caporal Slinger et le sergent Gérôme entraient tous les soirs dans les cellules et dans les chambres, se ruaient en furieux sur les premiers venus, les frappant à coups de poing et de nerf de bœuf pour les provoquer.

Le sergent Montagniez cacha un jour dans le sable, près de la porte de la prison, la clef des locaux disciplinaires ; puis, accompagné du caporal Slinger, il entra dans ces locaux, criant que les fusiliers lui avaient volé la clef de la barre de justice. « Si je ne la retrouve pas, dit Slinger, apprêtez vos reins. » Les grades firent appeler le fusilier Pilardo qui, par intérim, remplissais les fonctions de clairon et lui ordonnèrent de trouver la clef. Pilardo ne pouvant rien répondre, et pour cause, le sergent Montagniez le frappa à coups de matraque. Pilardo tomba, demanda pardon, essaya de s’échapper ; mais le sergent le rattrapa et lui braqua son revolver sur le front en disant : « — J’vas te tuer. — Grâce, grâce pour mes parents ! » implora le malheureux. À ce moment, le sergent-major Raynal sortit et vit la scène. Son intervention sauva la vie au disciplinaire.

Le caporal Bernard, qui commandait la corvée d’ordinaire, dit au disciplinaire Geffroy, qui transportait une bonbonne de raki : « Bois-en, mais ne te soûle pas ». Geffroy, croyant à un bon mouvement du gradé, profita de la permission, sans cependant en abuser.

Bernard le fit alors rentrer dans la chambre, lui attacha les poignets, ayant soin d’arroser convenablement la ligature, puis le frappa à coups redoublés. Le disciplinaire poussait des cris terribles : Bernard eut peur et le détacha. Geffroy avait les poignets affreusement écorchés et boursouflés. Bernard lui dit :

— Si tu vas à la visite, ton chemin, ce ne sera pas ton pays : ce sera le plateau (le cimetière).

L’état des poignets de Geffroy lui interdisant tout travail, il alla trouver l’adjudant ; ce ne fut que sur les instances de celui-ci que le caporal consentit à laisser Geffroy se faire porter malade.

Le disciplinaire Zieger étant à la corvée de charbon, le sergent Morati lui dit : « — Marquis, tu as de gros bras ! si tu veux faire la lutte, je te retournerai avec mon petit doigt ! — Naturellement, répond Zieger ; vous ne crevez pas de faim. — Viens dans la chambre. — Non.