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détachement d’Andjia, avait remis au lieutenant-colonel un rapport sur l’absence illégale des deux disciplinaires. Jean sut ainsi qu’une cour martiale devait se réunir le matin pour les juger ; mais, entouré de miliciens, il ne put avertir Brando de celle décision.

Le lendemain, quoique le jour ne fût pas encore levé, le lieutenant colonel Liautey lit mettre une table devant sa cagna et, éclairé de deux photophores, tint une cour martiale où, en sa compagnie, siégèrent le commandant du cercle de Maintirano et quelques sous-officiers européens.

On appela Brando. Celui-ci se doutait si peu du sort qui l’attendait qu’il dit à ses camarades : « Ça doit être pour partir avec la mission : tant mieux, car, au moins, je ne crèverai pas de faim. »

Lorsque les deux disciplinaires furent devant lui, le lieutenant colonel leur dit, sans aucun semblant de formalités, sans aucun interrogatoire préalable : « Vous êtes coupables d’abandon de poste en présence de l’ennemi… vous êtes condamnés à mort. » À cette brutale déclaration, Jean s’écria : « Mais, mon colonel, c’est une absence illégale que nous avons faite… c’était pour réclamer… on ne peut pas nous condamner à mort. » Ironiquement, Liautey lui répondit : À moins que je te nomme caporal… ? »

Cette sentence, prononcée contre des accusés sans défenseurs, édictée sans procédure, fut exécutée sans rémission, sans délais de pourvoi en cassation, ni de pourvoi en grâce : effet d’un jugement sommaire, elle fut immédiatement suivie d’exécution.

Sous les balles d’un peloton composé de quelques gradés de la discipline, de miliciens et d’un adjudant qui avait siégé dans la cour martiale, à cinq minutes d’intervalle. Jean et Brando tombèrent — sans aucune faiblesse — pendant qu’une troupe de miliciens tenaient au bout de leurs fusils chargés les disciplinaires réunis à une centaine de mètres du lieu du supplice.


LES CIBLESMathieu.

Trois jours après l’exécution de Jean et de Brando, eut lieu l’assassinat de Mathieu.

Ce disciplinaire descendait du poste de Vakariano et faisait partie d’une troupe composée de quatre hommes et d’un caporal. Comme cette troupe devait aller à Ben-Alitz, le lendemain matin de son arrivée à Andjia, le caporal Vivier lui distribua des vivres pour la route.

Mathieu ayant déposé sur une table sa musette, le caporal Vivier, qu’elle gênait, la repoussa d’un geste violent et la fit tomber. La viande qu’elle contenait roula dans le sable et la poussière. Mathieu fit observer au gradé que sa viande était immangeable. Cette observation excita la colère de Vivier qui décerna au disciplinaire toutes les épithètes ignobles en usage dans l’armée : « Fiote, tante, etc. » — « Pas plus que vous ! » ne put s’empêcher de répondre Mathieu. À cette parole, le Caporal bondit sur le fusilier, le gifla, lui botta les rein. Mathieu, qui avait son fusil en main, lança la crosse dans les jambes du gradé.