Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/133

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fait de métiers d’art elle ne peut offrir aujourd’hui que quelques ferronniers et verriers. Tous ces travaux se font mécaniquement.

En résumé, la situation de notre pays n’apparaît pas différente de celle qui a provoqué en Allemagne la loi sur les corporations de métiers.

La décadence du métier, l’expansion de la machinerie à toutes les branches de la production, la rapidité de cette production, son intensité prodigieuse ont donc rendu une grande partie de la main-d’œuvre superflue.

En 1880, M. Evans écrit de Midland : « Malgré l’état de dépression sur le marché, l’exploitation du charbon s’est accrue de 1/2 million et la quantité d’ouvriers a diminué. » À 295 000 tonnes de plus à Worcestershire, correspond 1 500 ouvriers de moins. En général, depuis 1874, les régions minières sont atteintes de surpopulation chronique, le va-et-vient des bras employés, tantôt en baisse, tantôt en hausse, aboutit finalement en 1888 à la hausse de 27 % de la production, et à la suppression de 38 000 ouvriers.

Les travaux statistiques de Schippel établissent rigoureusement que le nombre des travailleurs réguliers diminue sans cesse.

Plusieurs économistes se plaisent à répéter que la machine élève les salaires. Cela est vrai pour une minorité, cela est tout à fait inexact pour la masse. Du reste, voici une opinion orthodoxe :

« Comme il n’y a pas de surproduction dépassant la mesure des besoins, et que l’immigration fait affluer dans les cités industrielles plus de sujets que n’en peuvent occuper les machines, il arrive que l’excédent se trouve refoulé vers la petite industrie, et, par suite de la concurrence des demandes de travail, y fait réduire les salaires ; c’est donc un effet indirect de l’emploi des machines, en ce sens que celles-ci font naître des espérances illimitées suivies de déceptions » (Alfred des Cilleuls. Discussion à la Société d’Économie politique, 5 février 1898).

Ajoutons, avec M. Levasseur, que la machine exerce encore une influence dans le sens de la baisse des salaires chaque fois qu’elle substitue la femme à l’homme, ou lorsqu’elle accomplit automatiquement un travail qui exigeait auparavant un ouvrier très habile, — deux cas très fréquents.

On peut donc dire avec M. Goldberg, qu’une force fatale entraîne vers le paupérisme la société actuelle. Des foules, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont condamnés à l’espoir factice du travail à trouver ou aux bonnes grâces de l’Assistance.

Et maintenant, qui peut mettre en doute que la recrudescence de vagabondage et de la prostitution soit la conséquence directe de cet état de choses ? Et comment ne pas rire ou s’attrister aux sottises débitées depuis plusieurs années dans la presse à l’endroit des vagabonds  [1].

  1. Voici comment s’exprime un membre du Conseil de la Société générale des Prisons ; « Depuis quelques années, on s’est beaucoup occupé du vagabond ; tous les écrivains s’accordent à le définir par deux mots : il a horreur de travail, et il craint la solitude. » (Séance, 15 déc. 1897, L. Rivière).