peuple. L’or étant stigmatisé comme une source éternelle de mal, la charité voulait qu’on en interdît l’approche. Seuls les princes de l’Église, réincarnations de Bouddha, comme tels, supérieurs au mal et aux passions, pouvaient produire et manier le redoutable métal.
D’autre part, on assimile bien le gouvernement à une grande famille, mais qui, n’ayant pas de pair, ne reconnaît aucun contrôle. Ainsi, l’individu est forcé à l’altruisme, mais l’égoïsme de l’État est illimité. Des raisons de morale individuelle font interdire l’industrie de l’or aux particuliers, mais la raison d’État confère hardiment le monopole de l’or à l’État. Ce monopole, pendant cinq siècles, il a été accepté par le tiers de l’humanité : en effet, il est en vigueur aujourd’hui comme au temps du grand Khoubilaï-Khaghan, et il faut reconnaître qu’il a puissamment contribué au progrès du crédit, qui sans doute fera disparaître l’inutile monnaie.
Sur beaucoup de points, l’exploitation de ce monopole n’a soulevé aucune difficulté aiguë : — aux mines du Mingak, par exemple, dans le massif montagneux séparant la Chine du Tibet, qui sont exploitées depuis deux siècles et occupent environ quinze mille ouvriers. Dans la Mandchourie septentrionale, au contraire, se sont produites des complications graves qui ont eu de curieuses conséquences sociales. De très bonnes mesures gouvernementales assurèrent d’abord l’existence matérielle des ouvriers — les Russes les adoptèrent quand ils eurent fondé les mines sibériennes. — On établit des entrepôts de provisions et de vêtements ; créa des voies de communication ; bâtit des habitations-casernes ; arrêta le plan général des travaux : et enfin chercha des mineurs. Les salaires étaient relativement élevés, pour la Chine : près de quatre sous par jour, — l’État fournissant, outre le logement et l’entretien, tout l’outillage.
Mais c’était trop peu pour faire oublier le climat et le paysage trop semblables à ceux de l’Extrême-Nord. En hiver, le froid élimine de l’atmosphère toute humidité pour en faire un brouillard d’aiguilles de glace qui opprime la poitrine et cause de terribles hémorragies pulmonaires. De froid, les corbeaux, les engoulevents tombent inanimés. Des journées, des semaines entières, il faut rester enfermé, supplice pour le Chinois qui aime la propreté. En été, jamais ni nuages ni pluie ne protègent du soleil implacable ; des millions de moustiques empêchent de lever, fût-ce une seconde, le voile épais qui protège le visage. Ajoutez la difficulté du travail, l’éloignement, l’absence de nouvelles. L’embauchage devint de plus en plus difficile et il fallut se contenter à la fin de la lie du peuple. D’où l’on en vint à déporter aux mines les condamnés de droit commun.
Ouvriers louches, mal payés et traités, déportés sans salaires, pensèrent, — c’est le cas de tout salarié maniant des objets précieux et trop peu payé, — pensèrent que les ingénieurs et les chefs, jeunes la plupart, ne servaient de rien. Mais au lieu de se révolter ils désertèrent. Le pays montagneux était inhabité, la forêt paludéenne, taïga en langue sibé-