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Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/207

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rienne, impraticable. On pouvait éluder la terrible « loi de l’or ». Des dizaines de milliers d’ouvriers et de déportés se mirent à produire de l’or dont des marchands russes et chinois firent un commerce clandestin.

Impuissant contre les déserteurs, mais ne voulant pas renoncer au produit de ses mines, le gouvernement n’en continua pas moins d’y expédier des vagabonds ou des malfaiteurs qui imitaient leurs prédécesseurs : de sorte que ce désert s’emplit d’une population hors la loi. Ces chercheurs d’or étaient, du fait de l’évasion, punis sévèrement, de par leur industrie, passibles de la peine capitale.

Cette existence de centaines de milliers de proscrits dans l’État, même en un désert, était d’autant plus prodigieuse en Chine, que les instincts sociaux, fortifiés au cours de dizaines de siècles de vie sociale, y ont rendu impossible jusqu’à la conception d’une vie individuelle. Logiquement les Khonkhouses n’avaient pas plutôt déserté qu’ils ne songeaient qu’à recréer de nouvelles unités sociales. Il est remarquable que cet amas amorphe de criminels, agrégat d’instincts antisociaux, se soit organisé en sorte de multiples mais très stables républiques fédérées.

C’est vers 1870 que le phénomène se produit sur plusieurs points à la fois.

Une seule organisation qui eût englobé tous les Khonkhouses était déjà irréalisable. Le territoire de la Mandchourie est double à peu près de celui de la France. Les différents districts où s’étaient établis les proscrits étaient distants parfois de mille kilomètres et séparés, par des provinces cultivées et peuplées, du centre et du sud-est. De plus il n’existait plus entre eux de communauté d’intérêt qui pût les unir tous.

Le nombre croissait des nouveaux venus. Cependant toutes les vallées aurifères avaient fini par être occupées. À cette surpopulation l’or vint à manquer. Des dizaines de milliers d’individus se trouvèrent sans ressources, proscrits, exposés aux rigueurs d’un climat atroce et outillés à peine pour la chasse la plus primitive.

Des Européens, en pareil cas, se fussent entretués. Mais cette vérité, qu’il faut un groupe organisé pour triompher de la misère individuelle, à peine reconnue en Occident, est si ancienne pour les Chinois que, redevenue inconsciente, elle mena ceux-ci merveilleusement. Avec une facilité, une rapidité surprenantes, ces criminels, arrivés apparemment au bas de l’échelle des valeurs sociales, mais incapables de renier l’incomparable splendeur de leur génie national, s’organisèrent en groupes, lesquels, avec l’inconscience peut-être de la plante tournant vers le soleil, s’adaptèrent aux conditions d’existence que le milieu leur présentait.

Ceux qui étaient établis au moment de la crise furent les premiers à s’organiser. D’abord, ils contractèrent des alliances défensives contre les nouveaux mineurs. Ces alliances, comprenant de plus en plus d’adhérents, devinrent des fédérations qui n’eurent pour limite que la sphère des intérêts communs. Puis ces fédérations défensives, unies par le