Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/288

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entrèrent. Les servantes cherchèrent à s’enfuir, mais furent appréhendées dans la cour par huit autres brigands qui, en riant, les violèrent. Votre fille, épouvantée, semble heureusement avoir vite perdu connaissance ; on la trouva plus tard, évanouie, manifestement à la suite d’infâmes outrages. Dans ma maison, ce fut bien pis encore. On pénétra, on me terrassa, et on me garrotta. Tout fut saccagé. J’étais furieux ; car j’avais déjà donné mon argent.

« J’ai payé ! j’ai payé ! criai-je en anglais. Vous n’avez pas le droit de prendre ceci ! »

L’un d’eux me comprit, et me dit quelque chose en ricanant affreusement. J’ai compris qu’ils avaient l’ordre de leur empereur, d’assassiner tout le monde et de voler tout[1]. Je me tordis dans les cordes. Cinq pénétrèrent dans l’appartement intérieur. J’entendis les cris des femmes, et des rires affreux. Désespéré j’appelai ma femme. Elle répondit en criant au secours. Et je ne pouvais me dégager. Je vociférai :

« C’est un ignoble brigand, votre empereur, un massacreur, un sale violateur de femmes, un porc puant ! »

On tira un coup de fusil. Ma femme poussa un cri horrible. Je hurlais, fou. Je reçus un violent coup de pied dans le ventre et perdis connaissance.

  1. Quand, après l’annexion de la Mongolie, le gouvernement russe eut fait rouvrir la route postale de Kiakhta à Kalgan, ce furent par douzaines que les Chinois établis en Mongolie reçurent des lettres de leurs parents et amis de Chine. De Kalgan, de Pékin, de Hsiouen-hoa, Si-ning, Tching-ting, Kouan-ping, Tong-tchang, Taï-yuan, Kaï-fang, Ping-yang, Hsi-ngan arrivaient les missives de malheur. Et c’est dans toutes la même chose : impositions officielles par des « généraux Pous », assassinats après viol de femmes et de filles, tueries d’enfants, castrations et assassinats (après d’épouvantables corvées) d’hommes, chasses à courre ou battues humaines, horribles simulacres (pas d’interprètes !) de procédés judiciaires, et mise à mort, de préférence à coups de baïonnette, pillages de magasins et de maisons privées et dévastation de localités au moment du départ. Jusqu’au style, ces lettres sont identiques aux lamentables récits que font les historiens hongrois de l’invasion des Mongols sous le successeur de Djinghiz-Khaghan, c’est-à-dire d’un temps qu’on pouvait croire derrière soi depuis six siècles et demi. Le progrès de la civilisation consiste donc en ce que les barbares chrétiens font maintenant aux nations travailleuses de l’Asie ce que les barbares d’Asie ont fait, il y a six siècles, aux peuples agriculteurs chrétiens.

    Et dans toutes ces lettres, l’Empereur d’Allemagne (auquel on oppose, comme on verra, le Tsar) figure comme chef suprême des Occidentaux. Il ne ressemble pas à un héros destructeur, mais à un bourreau puissant qui donne la consigne à ses aides, les soldats. Toujours, soit qu’un marchand se rebiffe quand on lui vide sa caisse ; soit qu’un pauvre diable, condamné à mort pour rébellion parce qu’il n’a pas voulu ouvrir sa porte, implore la grâce des barbares ; soit qu’une jeune fille, solidement tenue par deux « camarades » pendant que le troisième la viole, cherche à cracher ou à mordre ; soit qu’une mère qui garde ses petits enfants ne veuille pas, au premier appel d’un porteur de galons, se prêter à de sales exigences, toujours c’est la même excuse : « L’empereur l’a ordonné, et même si la vie vous reste, c’est déjà une infraction à nos ordres !… »