Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/504

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industriels et commerçants, lesquels ne se préoccupent tous que d’intérêts plus ou moins matériels, sont convaincus sans doute que l’œuvre des missionnaires était indispensable pour préparer l’influence économique ou politique de leurs pays respectifs.

Mais tout le monde a été trompé, trompé par le préjugé de la supériorité européenne, trompé par la peur aveugle de n’avoir plus bientôt assez de débouchés pour l’industrie occidentale, trompé par la vanité nationale qui à tout prix appuie tout ce qui dans un sens ou dans un autre peut reléguer un rival au second plan, trompé enfin par les diplomates européens de Pékin qui, ne connaissant ni la langue, ni les institutions ni la situation du pays où ils se trouvent, se laissent avec une bienheureuse simplicité éclairer par les missionnaires mêmes. Voilà la source du mal. Il faut envoyer à Pékin non pas de petits chefs de cabinet ou d’anciens sous-lieutenants de dragons, mais des savants ; avant tout ne plus considérer Pékin comme une des premières étapes de la carrière, mais comme le poste le plus élevé, le plus difficile et le plus honorable : tout serait là. Mais peut-être qu’il est déjà trop tard.

Il est faux que les missions aient propagé l’influence de leur mère patrie en Chine. Pour exister même, les missionnaires sont forcés d’abandonner leur costume, leur langue, leurs habitudes, au point que le Chinois ne sait presque jamais de quelle nationalité ils sont. D’ailleurs il ne connaît même pas les nations européennes. Répandre par exemple l’influence française, ne serait-ce pas faire que la France soit plus respectée que d’autres ? Mais si l’on ne sait pas plus ce que c’est que la France que les autres nations occidentales ? L’œuvre des missions pour le prestige de leur mère-patrie est nulle.

Il est faux que les missions aient propagé en général, l’influence pacifique de l’Occident en Chine. De quelque nationalité qu’elles fussent, elles n’ont jamais pu faire respecter les institutions européennes parce que celles-ci laissaient à désirer plus que les chinoises : le droit européen ne garantissait que l’impunité aux criminels ; les habitudes occidentales ne faisaient voir que grossièreté, brutalité, ignorance de barbares ; les hommes d’Occident ne satisfaisaient que des appétits peu respectables ; la foi d’Occident n’était que la foi dans la réussite d’affaires véreuses ; la science d’Occident ne servait qu’à exploiter le peuple, et les langues d’Occident ne servaient qu’à discuter des affaires et à mentir.

Il est faux que les missions aient propagé le christianisme en Chine. Le Chinois, héritier des sublimes pensées d’un Kong-tsze et d’un Lao-tsze n’a pas besoin d’une morale fondée sur une foi. Il n’a pas besoin de dogmes incompréhensibles. Il ne veut pas non plus d’une morale qui permet d’agir contre les notions qu’il a du droit, ni davantage de dogmes qui l’inféodent à une association qui est en marge de la société : les chrétiens de Chine leur semblent des traîtres qui vendent la morale pour un profit temporaire et illicite.

Il est faux que les missions aient préparé la voie à l’invasion écono-