Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/107

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Le Chinois est soumis à son père, à tous ses ancêtres, à tous ses morts, mais il est aussi bien soumis (et avec la même nécessité) à tous ses amours, à toutes ses préférences, à toutes ses sympathies, et de même à toutes ses ambitions, à toutes ses prévoyances, à tous ses buts. Il vit comme ses morts, dans la logique ; il vit comme ses aimés, dans le sentiment ; il vit comme seul lui-même, dans sa volonté.

Et plus il va, et plus il perfectionne sa faculté d’équilibrer ces trois forces psychiques vitales.

Et plus il va, et plus le mépris de tout notre appareil scientifique qui ne lui semble avoir pour conséquence que de remplacer l’humain par le matériel, le travail par l’immobilité désindividualisatrice, s’affirme sur sa face dure et placide.


Mais ne changera-t-il pas d’avis, un jour ? Il est des gens en Europe qui se l’imaginent. Déjà ces prophètes bornés qui ne voient l’action d’un peuple que dans sa férocité guerrière, le voient créer une armée, couvrir son sol d’usines à matériel de meurtre ; ils le voient devenu par sa formidable masse la grande horde conquérante du nouveau Djinghiz qui engloutira l’Occident.

Ces prédictions effrayent peu, basées qu’elles sont sur une ignorance absolue du caractère chinois. Mais la prédiction qui devrait effrayer n’est faite que rarement : pour la voir se réaliser, point n’est besoin que le Chinois change.

La nation chinoise, si vieille, est toujours également jeune. Depuis le titan Pouan-kou, fils du Chaos, qui sculpta l’écorce du globe et, son œuvre achevé, se fondit dans la nature ne laissant sur terre que la vermine qui couvrait son corps, c’est-à-dire les premiers êtres…, depuis Fou-hsi, le premier roi, et le grand Yu, le fondateur de la dynastie qui régna avant la naissance d’Abraham…, depuis Hoang-ti qui refoula les Tartares et bâtit la Grande Muraille, les Jaunes ont vécu des milliers et des milliers d’années sans voir leur vitalité diminuer. Ils sont aussi frais que jamais. Les peuples ne s’usent pas comme les individus qui les composent : les États s’usent comme les hommes, car ils dépendent des hommes ; les peuples, et avant tous, les peuples dont l’unité n’est basée ni sur la politique, ni sur l’intérêt commun, mais sur une disposition psychique caractéristique et créatrice d’une civilisation, ces peuples (mais où sont-ils en dehors de la Chine ?) non seulement ne meurent pas, mais se fortifient indéfiniment, car la sélection fera survivre toujours les dispositions caractéristiques les plus fortes, partant les éléments les plus utiles à cette unité nationale psychique.

L’Égypte est morte, basée sur la politique ; la Perse est morte, de même ; l’Inde est morte, basée sur une logique disparate ; la Mongolie est morte, basée sur l’intérêt commun mais s’affaiblissant… et c’est pour cela que la Chine, à son tour, finirait ? — par quelle dérogation à la loi de l’évolution ? — La Chine, basée sur une unité psychique ; la Chine, incarnation de la suprême force humaine, le travail, stabilisé