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plus envoyer de cadeaux, de renoncer à la présence des troupes chinoises à Lhassa, et de reprendre son entière liberté d’action tant politique que spirituelle. L’Empereur, dans l’impossibilité de faire droit à la demande, n’osa même pas répondre.

Les présents que le Dalai-Lama aurait dû envoyer en 1892. ne furent pas expédiés. Le concordat de 1720 avait cessé d’exister et le Tchangtcha Khoutouktou à Pékin, tout en restant à la cour comme simple et redoutable observateur, ne prit plus aucune part aux actions officielles du gouvernement.

C’est alors que les relations amicales qui régnaient entre le Khamba-Lama des Bouriates et le gouvernement du Tsar portèrent des fruits magnifiques. Lhassa, s’étant virtuellement affranchi de la suzeraineté mandchoue, avait à craindre maintenant et la brutalité chinoise et la grossièreté anglaise. Malgré la dépendance où se trouvait la dynastie mandchoue par rapport à Lhassa, le danger chinois n’était pas à dédaigner : car il fallait au Dalaï-Lama plus de temps pour miner l’autorité et renverser le trône qu’au gouvernement pour envoyer une expédition militaire au Thibet. D’un autre côté, il était bien connu à Lhassa que l’Angleterre ne désirait rien tant que de mettre le Sze-Tchouen en rapport direct avec l’Assam par la route de Batang — ce qui aurait été en même temps la ruine du Thibet, l’agonie du lamaïsme en Chine et la suprématie anglaise en Extrême-Orient.

Mais si la dynastie mandchoue montrait sa capacité d’exister sans et même contre l’autorité lhasséenne, la Russie devait perdre tout espoir de prendre de sitôt sur la dynastie l’ascendant qui lui était nécessaire pour s’assurer une influence prépondérante dans les pays tributaires du nord, tels que la Mandchourie et la Mongolie, et surtout pour faire évincer, sans engager sa propre responsabilité, ses rivaux européens de la Chine septentrionale. Et, d’un autre côté, si l’Angleterre poursuivait ses buts en traitant le Dalaï-Lama comme un simple vassal de la Chine, le prestige anglais gagnait de façon à contrebalancer du coup les laborieux résultats de la diplomatie russe en Perse, en Afghanistan et surtout en Chine.

Le danger commun, quoique de nature différente, devait rapprocher le Dalaï-Lama et le Tsar. Et la conspiration de ces deux papes-rois, dont l’un dispose de cent vingt millions, l’autre de trois cents millions d’âmes, ne pouvait qu’engendrer une action de monstrueuse envergure. La voie de communication naturelle, et à l’abri de toute indiscrétion, passait évidemment par le Lac des Oies ; le Khamba-Lama des Bouriates fut l’intermédiaire donné par les circonstances. Les relations ténébreusement établies eurent bientôt pour conséquence des démarches officielles non moins secrètes. La Russie, qui voyait s’approcher, qui contribuait même à créer une grande crise chinoise, fit le premier pas. Un prétendu étudiant, sujet russe, de nationalité bouriate, élève distingué de l’académie lamaïste du Lac des Oies, fut envoyé à Lhassa, non pas, comme les autorités russes le racontaient, pour achever ses études à la source