Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/216

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du concordat : le Dalaï-Lama ébranla le trône impérial. La dynastie n’avait qu’un seul moyen de faire dévier l’assaut prétendu nationaliste : le diriger contre l’étranger européen qui l’avait forcée aux trahisons que la Grande Société lui reprochait. Le prince Touan, le seul qui, comme père de l’héritier présomptif du trône, eût un intérêt capital à défendre, se mit résolument à la tête du mouvement.

Les troubles dits des Boxeurs, entraînés maintenant contre les Transocéaniens, se préparèrent. Une intervention désastreuse de l’Europe devint de plus en plus probable. Tout d’un coup la situation, également angoissante à Pétersbourg, à Lhassa et à Pékin, s’éclaircit. Ce fut au mois de mars 1900. Un ami intime du Tsar et un célèbre Grand-Secrétaire chinois s’étaient rencontrés à Canton. Tout fut arrangé.

La dynastie mandchoue pouvait attendre avec une certaine tranquillité l’avalanche des événements : la Chine lui resterait.

Et pendant que l’Europe aveugle s’acharnait sur l’océan humain inépuisable de l’Empire du Milieu, la Russie, pacifiquement, organisait ses nouvelles et immenses provinces, la Mandchourie et la Mongolie, qui dominent le Dorado du Chen-si…

Une armée de cent quatre-vingt mille hommes, savamment concentrée de longue main dans la Sibérie orientale, maintiendrait, en cas de besoin par la force, l’intégrité de la Chine contre les convoitises des rivaux dupés de la Russie. Et le Tsar, en établissant enfin la vraie voie de communication entre la Chine et l’Europe, la voie ferrée du Baïkal à Kalgan, se rendrait, au lieu des Occidentaux, gardien des richesses naturelles de l’immense pays.

Ainsi le Tsar devint par le Dalaï-Lama le garant de la dynastie mandchoue.

Le gigantesque projet, favorisé par la piteuse myopie européenne, réussit pleinement. Les détails de son exécution sont merveilleux de finesse : ils seront sous peu de l’histoire. L’acte décisif et qui résume ces événements fut d’une émouvante grandeur symbolique.

Quand la cour mandchoue se fut rendue à Si-ngan et, de cette grande ville, se fut mise, par le télégraphe transasiatique, en communication directe et constante avec le Tsar, quand, réduits à l’impuissance, les malheureux héritiers du grand Taïtsong, préférèrent la protection du Tsar à l’anéantissement par ses rivaux d’Occident, et le calme du cléricalisme bouddhique à la turbulente hypocrisie des missions chrétiennes ; quand, enfin, il fut manifeste que nulle puissance au monde ne régnerait en Chine sinon le bouddhisme et son protecteur, — le siège de Lhassa, en signe du commencement d’une nouvelle phase de l’histoire, procéda à la vieille et vénérable cérémonie, laquelle à travers des périodes millénaires avait consacré les pouvoirs suprêmes de l’Asie.

Le Chancelier de Lhassa, chargé de présents, symboles de la circonstance, se rendit à Livadia. Le Tsar, à peine convalescent d’une grave maladie, le reçut avec l’éclat que comportait le moment. L’ambassadeur s’en alla, porteur d’une missive impériale et de cadeaux significatifs.