Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/248

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la crise agricole, des milliers de juifs indigents mendient leur pain. À cette détresse économique il faut ajouter l’hostilité du gouvernement et des lois.

Le traité de Berlin consacre en bloc la nationalité roumaine des israélites ; or le Parlement a décidé que toute naturalisation devait être individuellement soumise au Sénat et à la Chambre des députés. De cette façon, toutes leurs demandes sont systématiquement écartées.

En Roumanie, un juif ne peut être avocat (décret de 1864), ni pharmacien (1869), ni employé de chemin de fer (1871), ni débitant de tabac (1872) ; il ne peut ni prendre part aux adjudications des travaux publics (1868), ni à celles des terres vendues par l’État (1869). Une loi de 1881 interdit les fonctions d’agent de change à tout étranger. Le 15 mars 1884 une loi interdisant le colportage privait d’un seul coup 20 000 israélites de leur gagne-pain. Une loi du 12 mars 1887 exclut les juifs de l’administration, des fabriques de tabac de la régie. En 1893, une série de loi fermaient aux israélites les écoles publiques. Enfin une loi récente prescrit que dans toute entreprise, chantier, usine, fabrique, 73 % des ouvriers et employés doivent être de nationalité roumaine. Cette loi est dirigée entre les ouvriers israélites.

L’ensemble de toutes ces calamités économiques, politiques et sociales avait jeté des milliers d’Israélites dans un tel désespoir qu’au mois d’avril 1900 un grand exode vers l’Allemagne, la Hollande et l’Angleterre se préparait. Des secours furent organisés par le comité central de l’Alliance israélite : il y avait à ce moment environ 100 000 hommes a secourir [1]. Les émigrants entraînés par des agitateurs sionistes songeaient à se diriger vers la Palestine, mais le gouvernement ottoman leur en interdit l’accès.

Les agitateurs se dirigèrent alors vers l’Anatolie pour s’y livrer au travail agricole. Ce fut une odyssée lamentable : fièvres, famines, maladies de toute sorte les décimaient. Le sultan lui-même eut pitié d’eux et leur fit distribuer des secours en nature.

Le 28 mai 1900, M. Astruc, directeur de l’école de Roustchouk, écrivait de Galatz :

« Je ne me fais aucune illusion sur les conséquences d’une crise économique sans précédent, mais, à Galatz, la réalité dépasse tout ce qu’on pouvait supposer d’horrible et de navrant. Ce ne sont pas des pauvres, des inoccupés, des désœuvrés que j’ai sous les yeux, mais des malheureux qui crient littéralement famine, des enfants qui dépérissent faute d’un morceau de pain, voire, on ne le croirait pas, faute d’eau. Un des premiers groupes de miséreux que j’ai visités est celui qui part dans quelques jours pour Chypre. Il se compose de 52 familles comprenant 220 personnes… On les a parqués dans une cour nauséabonde et ils s’y trouvent entassés depuis 10 jours. Ils y resteront probablement une semaine encore… »

  1. De mai à février 1901 l’Alliance israelite a dépensé en Roumanie environ 500 000 fr. Cela ne donne qu’une faible idée de la détresse qui sévit sur cette population.