Mais nous avons dit assez pour donner une idée de la situation des juifs pauvres en Russie : lois restrictives qui paralysent l’activité économique et intellectuelle, intolérance des fonctionnaires et des magistrats, fanatisme des populations qui se vengent de leur propre misère sur les juifs pauvres, mesures et règlements hostiles, crise du chômage, famine avec toutes ses conséquences physiologiques et morales.
Aussi l’émigration juive a-t-elle repris une nouvelle intensité. D’une statistique faite aux États-Unis il résulte que de 1881 à 1899, environ 550 000 Israélites russes sont arrivés dans ce pays. En 1899, le chiffre des immigrants russes aux États-Unis paraît avoir été de près de 30 000 alors qu’en 1897 il n’était que de 20 000 et en 1898 de 25 000. Comme l’émigration ne s’est pas portée seulement vers les États-Unis, mais vers tous les pays où ces malheureux pouvaient trouver un refuge on peut évaluer à 800 000 le nombre des juifs russes qui, dans ces 19 dernières années ont abandonné leur pays [1].
L’un des préjugés favoris des antisémites est de croire qu’il est impossible aux juifs, qui se sont livrés pendant plus de mille ans au commerce, aux métiers et aux affaires, de se transformer en agriculteurs. Les faits démentent cette affirmation. Il y a 325 colonies d’agriculteurs juifs dans les gouvernements de Cherson, Ekaterinoslav, Wilna, Grodno, Kiev, etc. (13 gouvernements). Le nombre des colons et des ouvriers juifs s’élève à 95 430 [2]. À ce chiffre il convient d’ajouter 5 502 ouvriers juifs s’occupant de la culture maraîchère et horticole, 10 274 travaillant aux plantations de tabac. Ces chiffres datent de quelques années ; mais on sait, en Russie, que le nombre des journaliers juifs agricoles a augmenté : depuis quelque temps des milliers d’ouvriers juifs travaillent sur les champs des propriétaires chrétiens pendant la moisson : ils gagnent de 30 à 35 kopeks par jour.
En parlant des agriculteurs juifs, dit M. Leonty Soloweitschik, il faut mentionner encore les israélites de Caucasie dont peu de gens connaissent l’existence. Leur nombre est, selon von Eckert, de 30 à 40 000, ou, d’après les données de M. Anissimov, de 21 000. Ils s’occupent principalement de l’agriculture, de la fabrication des armes, de l’horticulture, de la plantation des vignes et du tabac [3].
Enfin il est si vrai que les juifs ne répugnent pas à l’agriculture que le ministre des domaines disait au sujet des juifs agriculteurs de Sibérie que partout où ils ont pu s’installer comme agriculteurs, ils l’ont fait et même avec succès [4].
Ajoutons enfin que l’œuvre agricole de l’Alliance prend une exten-