Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/271

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se représentent comme des usuriers, des agioteurs, des spéculateurs et des affameurs, comprennent environ vingt mille prolétaires, ouvriers ou indigents ; le reste est composé de marchands appartenant aux classes moyennes et aux classes aisées ; une poignée seulement s’occupe de finance, de trafic et de prêts ; enfin quelques-uns vivent des revenus de leurs millions et se divertissent dans les recherches archéologiques ou philologiques…

Les ouvriers juifs ne répugnent à aucun métier. (Nous l’avons constaté chez les Russes et les Roumains.) À Paris, ils exercent principalement les métiers de casquettiers, ébénistes, menuisiers, tailleurs, cordonniers, caoutchoutiers, diamantaires, finisseurs de chaussures, fourreurs, etc.

Nous allons donner quelques renseignements sur les casquettiers qui ont attiré l’attention publique au mois de septembre dernier, à propos d’une grève générale.

Il y aune vingtaine ou une trentaine d’années, la fabrication de casquettes était si peu importante à Paris, qu’on recevait cet article d’Allemagne. La France était importatrice ; aujourd’hui elle est exportatrice. Ce sont les ouvriers et les petits patrons juifs qui ont créé cette industrie dans la capitale et lui ont donné le développement où elle est arrivée. Bicyclistes et chauffeurs de l’Œillet Blanc, de L’Épatant, du Jockey se coiffent avec les élégantes casquettes fabriquées par les ouvriers juifs : ils en sont ravis.

Le syndicat des ouvriers casquettiers qui a sa permanence à la Bourse du Travail (4° étage, bureau 31), comprend plusieurs centaines de membres. Mais on estime à 1 000 ou 1 200 le nombre des ouvriers casquettiers, presque tous juifs, qui habitent le Marais. Il est à remarquer que les femmes sont plus nombreuses que les hommes. S’il n’y avait pas cinq ou six mois de chômage (coupés par des extras), le métier ne serait pas un des moins rémunérateurs. Mais ici, comme dans une foule d’autres industries, il faut compter avec la morte. De sorte que le salaire moyen est de 4 francs et 4 fr. 50 environ. Pour les femmes (qui s’occupent surtout du finissage), il est de 2 francs, 2 fr. 25 en moyenne. C’est peu dans une industrie qui est classée, désormais, dans les industries de luxe et où l’ouvrier doit fournir de ses propres mains un outillage d’une valeur de 200 francs environ, lequel exige un entretien constant qui nécessite une dépense annuelle de 40 francs environ. Ajoutons que le métier des casquettiers doit être rangé dans la catégorie des métiers insalubres. Les ateliers où l’on travaille par 4, 6, 10, 15 et 20 sont excessivement malsains, à cause du manque d’air, de l’humidité et de l’exiguïté des locaux. En outre, les poussières et les vapeurs délétères qui se dégagent dans l’opération du bichonnage des casquettes exercent des ravages sérieux dans les voies respiratoires, ce qui est du reste visible sur les visages absolument blancs des ouvrières et des ouvriers : les cas de tuberculose sont fréquents dans cette population et la promiscuité les développe sans cesse.