pieds et points liés, et le déposèrent, au milieu de la cour aux chevaux, le dos contre un poteau. On dit que le plaisir qui illumina la figure de Slade quand il apprit cela fut quelque chose d’effroyable à contempler. Il examina son ennemi pour s’assurer qu’il était solidement attaché, et alla se coucher, content d’attendre au matin avant de savourer le régal de sa mort. Jules passa la nuit dans la cour aux chevaux, pays où les nuits chaudes sont inconnues. Dans la matinée, Slade s’exerça sur lui au revolver, lui entaillant la chair par ci par là et de temps en temps lui coupant un doigt, tandis que Jules le suppliait de le tuer d’un seul coup et de le délivrer de ses tourments. Enfin, Slade rechargea son arme et, marchant à sa victime, fit sur elle quelques remarques psychologiques et l’acheva. Le corps resta sur place une demi-journée, personne ne se risquant à y toucher sans ordres ; alors Slade commanda une corvée et assista lui-même à l’enterrement. Mais il coupa d’abord les oreilles du mort et les mit dans la poche de sa veste où il les porta quelque temps avec une grande satisfaction. Voilà l’histoire telle que je l’ai entendu souvent raconter et telle que je l’ai lue imprimée dans les journaux de Californie. Elle est sans doute correcte dans ses traits essentiels.
En temps voulu, nous arrivâmes à une station de poste et nous nous assîmes à déjeuner dans la société mi-sauvage et mi-civilisée de montagnards barbus et armés, garçons de ferme et employés. Le fonctionnaire le plus distingué, le plus tranquille et le plus affable que nous ayons encore rencontré sur la route au service de la Compagnie de la poste était la personne assise au haut bout de la table, à côté de moi. Jamais jeune homme n’ouvrit les yeux et ne frémit comme moi quand j’entendis qu’on l’appelait Slade !
C’en était, du roman ! et j’étais assis en tête à tête avec lui. Je le voyais, je le touchais, je jouais avec pour ainsi dire ! Ici, tout près de moi, était le véritable ogre qui, dans des combats, des rixes et de diverses manières, avait enlevé la vie à vingt-six êtres humains, ou tout le monde mentait à son égard ! Je suppose que je fus le garçon le plus fier qui ait jamais voyagé pour visiter des pays curieux et des êtres extraordinaires.
Il était si amical et si affable que je l’aimais en dépit de son effrayante histoire. Il n’était guère possible de croire que cet agréable personnage fût l’impitoyable fléau des bandits, le croquemitaine qui servait aux mères-nourrices de la montagne d’épouvantail pour leurs enfants. Et aujourd’hui encore je ne me