Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/569

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développement de la richesse au profit de ceux qui la créent, ni au profit général de l’humanité, ni au profit de la nation, c’est la canalisation de la richesse vers cet idéal fauve, qui est l’extrême opulence à côté de l’extrême misère, la constitution du capital par le resserrement de la consommation globale.

Quand avec la misère de 100 000 indigènes l’on a pu faire la fortune de deux entreprises dénuées de scrupules, on a prouvé son aptitude à la colonisation. Quand avec la subsistance des peuplades affamées on a pu faire quelques millions d’exportation qui vont en Allemagne et en Angleterre, on s’écrie que la balance du commerce justifie ces fructueuses opérations.

Le Journal Officiel de Madagascar signalait à l’admiration enthousiaste de tous les colons présents et à venir une ingénieuse exploitation de gisements aurifères qui ferait l’incontestable bonheur de ses ouvriers — et le sien — en payant ces ouvriers trente centimes par jour. Dans la même colonie, où le capital prélève un intérêt légal de 12 0/0, le contrôle des finances rejette impitoyablement toute dépense qui excède cinquante centimes par jour pour ceux qui font le rude métier de porteurs de filanzanes, alors que leur salaire normal et moyen dépasse un franc dans toutes les provinces.

Partout l’on barre la route aux peuples en marche vers l’autonomie économique de l’individu. Partout l’administration propage l’exploitation de l’homme par l’homme, comme elle préconise la guerre des classes. Dans toutes ses colonies, elle détruit, avec une rage, un fanatisme stupides et ignorants, le communisme primitif ou ce qu’en avait laissé subsister le despotisme avide des royautés barbares et des classes prépondérantes. Elle extirpe des consciences — à coups de fusil s’il le faut — l’idée égalitaire à laquelle elle butte sous tous les climats, parmi les tribus sauvages de l’Afrique tropicale comme dans les communes à demi-socialistes de l’Indo-Chine, bien plus qu’en Europe,

Partout nous avons fait main basse sur le sol pour le distribuer, non pas selon le droit coutumier ou écrit des peuples, mais au gré de notre fantaisie romaine ; partout c’est la grande propriété foncière que nous instaurons, par les vastes concessions territoriales qui englobent par douzaines, par vingtaines, par centaines, des villages indigènes réduits à la portion congrue, condamnés virtuellement au servage ou à l’anéantissement. Prendre aux indigènes, refoulés lentement sur les plateaux inféconds, les vallées fertiles pour les donner à des colons ou à des compagnies coloniales qui les feront exploiter par ces mêmes indigènes, saisir la rente du sol, voilà ce que nous appelons proprement coloniser, ce que nous poursuivons en Océanie, à Madagascar, au Congo, même en Indo-Chine.

L’expropriation des terres implique toujours l’appropriation des personnes. Ce n’est pas le travail personnel, c’est la main-d’œuvre indigène qui fait le colon laboureur. Or, pour constituer cette main-d’œuvre