Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/251

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PROFITS RÉALISES PAR LA SUBSTITUTION DE L’OUVRIÈRE À L’OUVRIER

Examinant la variation des salaires, tant des ouvriers que des ouvrières, l’enquêteur officiel du Ministre du Commerce écrit :

Dans l’ensemble, le salaire moyen par jour des ouvriers atteints par chaque enquête est passé de 2 fr. 07, en 1840, à 2 fr. 76, en 1860, et 4 fr., en 1891 ; celui des ouvrières, de 1 fr. 02, en 1840, à 1 fr. 30, en 1860, et 2 fr. 20, en 1891. En représentant par 100 la valeur de la moyenne des salaires en 1891-1893, leurs valeurs aux trois enquêtes sont représentées par les coefficients suivants :

  Ouvriers   Ouvrières
Enquête 1840-45 · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 52 · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 47
1860-65 · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 69 · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 59
1891-93 · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 100 · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · 100

Le salaire des ouvriers aurait donc presque doublé, de 1840 à 1891 ; celui des ouvrières aurait plus que doublé.

Un esprit superficiel ou un théoricien de mauvaise foi s’empressera de conclure que la situation des salariés s’est considérablement améliorée. On sait, du reste, le parti que les économistes conservateurs ont su tirer de cette constatation : « Les ouvriers se plaignent de plus en plus ; or, depuis un demi-siècle, leur salaire a plus que doublé ». La presse bien pensante a repris en chœur ce refrain. Nous allons remettre les choses au point, et montrer que, non seulement la situation du salarié ne s’est pas améliorée, mais qu’elle a empiré.

Remarquons d’abord que le salaire moyen est une fiction : l’emploi de ce terme habitue les esprits à se figurer que la généralité des salariés reçoit un taux de salaire particulier en apparence convenable. Évitons cette équivoque et individualisons, en multipliant les cas, — méthode plus scientifique et plus convaincante.

L’utilisation de la main-d’œuvre féminine et infantile constitue un bénéfice nouveau réalisé par le fabricant dans chaque famille ouvrière. Considérons, par exemple, l’industrie des conserves alimentaires. En 1845, le salaire nominal de l’ouvrier était, dans cette industrie, 1 fr. 95 ; il s’est élevé à 3 fr. 95 : l’accroissement est donc de 2 fr. : le salaire de l’ouvrière était 1 fr., il est devenu 1 fr. 45 : l’accroissement est donc de 0 fr. 45. Si donc, dans une famille donnée, c’est la femme au lieu de l’homme qui accomplit ce travail, il y aura diminution de ressources dans la famille. C’est ce qui est arrivé. En effet, l’enquête nous montre que la proportion des femmes et des enfants dans l’industrie précitée, qui était de 37 p. 100 au milieu du siècle, s’est élevée à 77 p. 100. Le profit est considérable.

Autre exemple : dans la confiserie et la chocolaterie, le salaire de l’ouvrier était de 2 fr. 48 (enquête 1840-45), il s’est élevé à 3 fr. 50 (enquête 1891-93); tandis que le salaire de l’ouvrière, qui était, dans la première période, de 1 fr. 25, s’est élevé à 1 fr. 80 dans la deuxième. Si le personnel n’avait pas varié comme sexe, il aurait pu y avoir amélioration. Mais l’enquête nous apprend que la proportion des femmes et des