Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/329

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Par définition ! Cela est évident ! Comment n’y avions-nous pas songé ? Vous collectionnez des cartes postales, moi des timbres-poste ; ce n’est pas la même chose. Il y a sur la terre des corps que nous appelons vivants et d’autres que nous appelons bruts ; c’est une classification admise par tout le monde, et vous venez me dire ensuite que les corps vivants ne diffèrent pas essentiellement des corps bruts ! C’est contraire à la définition ; c’est absurde. La chimie est la science de certains phénomènes liés à la structure intime des corps bruts, et vous voulez m’expliquer la vie par la chimie ! C’est un défi au bon sens ; vous ne pouvez expliquer la vie, apanage des êtres vivants, par la chimie de corps qui, précisément, par définition, ne sont pas vivants.

Supposons qu’on ait classé les corps de la nature en trois catégories au lieu de deux : les corps vivants, les corps bruts et les alcools. Cette hypothèse n’a rien d’invraisemblable : les alcools ont en commun un certain nombre de propriétés qui appartiennent à eux seuls, comme la vie appartient aux seuls êtres vivants. Alors les alcools aussi seraient en dehors de la chimie des corps bruts, par définition. À côté du vitalisme il y aurait, par définition, l’alcoolisme, théorie philosophique aussi raisonnable que la première. Ne dit-on, d’ailleurs, esprit de vin, esprit de bois ?…

M. Grasset cite avec admiration Barthez, le célèbre vitaliste de Montpellier : « Expliquer un phénomène, dit cet auteur, se réduit toujours à faire voir que les faits qu’il présente se suivent dans un ordre analogue à l’ordre de succession d’autres faits qui sont plus familiers et qui, dès lors, semblent être plus connus. » Cela est malheureusement vrai le plus souvent ; j’ai moi-même fait remarquer, dans plusieurs ouvrages, que cette comparaison avec des phénomènes familiers est déplorable ; elle est la base de l’erreur anthropomorphique. Voici d’ailleurs de bons (?) passages d’Auguste Comte que M. Grasset ne manque pas de relever : « Les êtres vivants… nous sont d’autant mieux connus qu’ils sont plus complexes… L’idée des animaux supérieurs est plus claire que celle des animaux inférieurs… La vie animale de l’homme nous aide à comprendre celle de l’éponge, mais la réciproque n’est pas vraie. »

Que penseriez-vous d’un savant qui, pour expliquer la plasticité de la glace, dans les expériences de Tyndall, ferait intervenir une comparaison avec le mouvement des glaciers ? Il faut expliquer le phénomène synthétique par ses éléments et non l’inverse.

Les différents phénomènes sont différents ; on ne peut que les comparer les uns aux autres, mais on n’est guère avancé quand on a expliqué un phénomène simple par une comparaison avec un phénomène plus complexe et plus familier. Le but des sciences est au contraire de décomposer un phénomène complexe en des phénomènes élémentaires comparables à des phénomènes simples. Mais, me répondra-t-on, la vie de l’homme est un phénomène élémentaire, et indécomposable. C’est précisément ce qu’il s’agit de discuter. Dans tous les cas la vie de