Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si notre terre est un atome, notre système solaire une molécule d’un monde d’ordre plus élevé, nous faisons peut-être partie du petit doigt d’un géant dont les faits et gestes nous sont inconnaissables.

Peut-être aussi existe-t-il, outre la matière, des principes immatériels qui (nous nous sommes placés au point de vue déterministe) sont sans action sur elle. Ils nous sont donc également inconnaissables.

L’homme est entouré d’inconnaissable, mais cet inconnaissable lui est indifférent par cela même qu’il lui est inconnaissable, puisqu’il n’agit aucunement sur les mouvements dont résultent la vie et la conscience humaine. Et il serait absurde par conséquent d’attribuer à cet inconnaissable une action directrice sur les phénomènes matériels dont nous sommes témoins. Il est inaccessible à l’homme, mais l’homme aussi lui est inaccessible.

Il ne faut pas parler de métaphysique. Rien n’est en dehors de la nature ; mais il y a une métanthropie, c’est-à-dire un ensemble de faits qui sont sans action sur l’homme et ne peuvent être connus de lui. La science n’a pas à s’en préoccuper : c’est au contraire un sujet dans lequel l’imagination peut se donner libre cours, sûre de n’être jamais arrêtée et contredite par les faits.

Si en effet, tout un ensemble d’éléments de notre cerveau, ceux qui sont en rapport par les organes des sens avec les phénomènes extérieurs, est naturellement devenu, sous l’influence de la sélection et de l’évolution, apte à nous renseigner sur les choses avec lesquelles notre organisme est en conflit, s’il est naturellement raisonnable, il peut n’en être pas de même des autres éléments du cerveau, de ceux qui ne sont pas directement intéressés à nos relations avec le monde ambiant. Une erreur d’adaptation dans les premiers aurait été funeste à l’homme, tandis qu’une imagination fantasque n’est pas une cause de destruction.

Aussi, que de questions ne nous posons-nous pas, relativement surtout à l’inconnaissable ?

« La connaissance scientifique et philosophique étant, dit M. Fouillée, toujours bornée, il restera toujours au delà une sphère ouverte à des croyances[1]. » Ces croyances n’auront, par définition, rien de scientifique : c’est pour cela que nous y tenons tant. Les hommes se sont entretués pour savoir si ce qui s’était passé dans l’imagination de l’un valait mieux que ce qui s’était passé dans l’imagination de l’autre.

Il y a de la matière en mouvement, mais d’où vient cette matière ? d’où vient ce mouvement ? Cela ne me regarde pas ; cela ne regarde aucun homme ; cela est métanthropique. L’homme est une succession d’agglomérations momentanées d’éléments matériels ; il ignore ce qui n’influence pas directement ou indirectement le mouvement de ses éléments. Mais l’imagination peut inventer des croyances. L’homme qui, ignorant son déterminisme, croit créer du mouvement, imagine un créateur de mouvement. Nous savons que nous ne pouvons pas créer

  1. M. Grasset cite (p. 255) ce passage de M. Fouillée, mais dans le but de l’opposer aux déterministes.