Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/427

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savait, dit-il, que depuis quelques années il s’occupait d’une ferme, ou ranch, pour employer le terme le plus ordinaire, dans le district du Washoe, et qu’il s’en tirait avec succès, et de plus que son ranch était situé juste au bord d’une vallée, et que Tom Morgan possédait un ranch immédiatement au-dessus, sur le flanc de la montagne. Et voici où était la difficulté : un de ces éboulements odieux et redoutés était survenu et avait fait glisser le ranch, les clôtures, les cabanes, le bétail, les granges et toute l’installation de Morgan par dessus son propre ranch et avait recouvert tout vestige de sa propriété sous une profondeur de 38 pieds (14 m. 40). Morgan était en possession et refusait de vider les lieux : il prétendait qu’il habitait toujours sa même cabane et qu’il n’empiétait sur personne ; que sa cabane se dressait sur la même place et le même ranch où elle avait toujours été, et qu’il voudrait bien voir qu’on la lui fît évacuer.

— Et quand je lui ai remontré, dit Hyde en pleurant, que c’était par-dessus mon ranch qu’il était en train d’empiéter, il a eu l’infernale mesquinerie de me demander pourquoi je n’étais pas resté sur mon ranch pour revendiquer mon droit quand je l’avais vu venir. Pourquoi je n’y suis pas resté ? Ce gueulard d’énergumène ! Nom d’un chien, quand j’ai entendu le tintamarre et que j’ai regardé en haut de la colline, on aurait dit que toute la création se démantibulait et dégringolait la pente de la montagne : des débris, du bois, du tonnerre et des éclairs, de la grêle, de la poussière, des arbres faisant la culbute en l’air, des rochers gros comme une maison, sautant à mille pieds de haut et éclatant en un million de miettes, des bestiaux retournés à l’envers comme une poche, descendant la tête la première, avec la queue leur sortant des mâchoires — et, au milieu de la ruine et de la destruction, ce maudit Morgan assis sur sa barrière et se demandant pourquoi je ne restais pas pour défendre mon bien ! Bénédiction, j’ai juste jeté un coup d’œil général, avant de me lancer à travers le pays en trois bonds, pas un de plus.

Mais ce qui me taquine, c’est que ce Morgan reste là et ne veut pas bouger de ce ranch : il dit que c’est le sien et qu’il va le garder ; qu’il l’aime mieux maintenant que quand il était plus haut. Fou ! oui, j’ai été si fou pendant deux jours que je ne pouvais pas trouver le chemin de la ville — je me suis égaré dans la brousse où j’ai crevé de faim. Vous n’avez rien à boire ici, général ? Mais me voilà, et je vais plaider. Je ne vous dis que çà.

Jamais peut-être il n’y eut au monde un homme plus scanda-