Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/526

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des scrupules, et j’y aurais jeté autant de variété que j’aurais pu, pour le prix.

Je montai à Virginia et j’entrai dans ma nouvelle carrière. J’avais l’air d’un courriériste un peu blet, je le reconnais franchement, en bras de chemise, en feutre mou, en chemise de laine bleue, le pantalon retroussé dans les bottes, la barbe descendant jusqu’à la taille et l’universel revolver de marine à la ceinture. Mais je me procurai un costume plus chrétien et j’omis le revolver. Je n’avais jamais eu l’occasion de tuer quelqu’un, je n’en avais jamais eu envie non plus, mais j’avais porté cet objet par déférence à l’opinion publique et pour éviter que son absence ne me singularisât d’une manière déplaisante et n’attirât l’attention. Mais les autres rédacteurs et tous les imprimeurs portaient le revolver. Je demandai au rédacteur en chef et propriétaire (je l’appellerai M. Lebon, ce vocable le désignera aussi heureusement qu’un nom propre) quelques instructions concernant mon emploi ; il me dit de parcourir la ville et de poser à toutes sortes de gens toutes sortes de questions, de prendre note des renseignements ainsi recueillis et de les rédiger pour la presse. Il ajouta :

— Ne dites jamais : « nous apprenons » telle ou telle chose, ou « on rapporte que » ou « le bruit court que » ou « nous supposons que », mais allez à la source, saisissez-vous du fait lui-même, puis parlez et dites, « cela est ainsi ». Autrement l’on n’aura pas confiance dans vos nouvelles. Une certitude inébranlable, c’est ce qui donne à un journal la réputation la plus solide et la plus sérieuse » :

Cela résumait tout le secret du métier en quatre mots. Aujourd’hui encore, lorsque je vois un reporter commencer son article par : « Nous croyons que », je le soupçonne de n’avoir pas pris pour s’informer autant de peine qu’il eût dû. Je prêche bien, mais je n’agissais pas toujours ainsi, lorsque j’étais courriériste. Je laissais trop souvent mon imagination prendre le dessus sur la réalité quand il y avait disette de nouvelles. Je n’oublierai jamais les péripéties de ma première journée de reporter. J’errai par la ville, questionnant tout le monde, assommant tout le monde et trouvant que personne ne savait rien de nouveau. Au bout de cinq heures mon calepin était toujours immaculé. Je consultai M. Lebon. Il me dit :

— Dan tirait généralement grand parti des charrettes de foin dans les temps de calme plat où il n’y a ni incendies ni enquêtes criminelles. Est-ce qu’il n’y a pas de charrettes de foin arrivées du Truckee ? S’il y en a, voyez-vous, vous pourriez parler d’un