Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/527

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regain d’activité, et ainsi de suite, dans le commerce du foin. Ce n’est pas sensationnel ni palpitant, mais ça tient de la place et ça a l’air sérieux.

J’inspectai de nouveau la ville et je découvris une misérable vieille charrette de foin arrivant de la campagne cahin caha. J’en fis un usage abondant. Je la multipliai par seize, je la fis entrer en ville de seize côtés différents, j’en tirai seize paragraphes séparés et je déchaînai à propos de foin un tintamarre jusque-là sans exemple à Virginia.

C’était encourageant, j’avais deux colonnes à remplir et je commençais à m’en acquitter. Tout à coup, alors que l’horizon se rembrunissait déjà, un bandit tua un homme dans un estaminet et la joie me revint. Jamais une semblable bagatelle ne m’avait rendu si heureux. Je dis à l’assassin :

— Monsieur vous m’êtes inconnu, mais vous avez eu pour moi une complaisance dont je me souviendrai. Si des années entières de gratitude peuvent vous en être un dédommagement, vous les aurez. J’étais en détresse et vous m’avez secouru noblement, au moment où l’avenir me paraissait sombre et sans issue. Comptez-moi pour votre ami désormais, car je ne suis pas homme à oublier un service.

Si je ne le lui ai pas dit réellement, j’éprouvai du moins un brûlant désir de le lui dire. Je décrivis le meurtre avec une famélique attention pour les détails, et après, je n’eus qu’un regret — celui qu’on n’eût pas pendu mon bienfaiteur sur-le-champ afin que je pusse le hisser à mon tour en bonne place dans mon récit. Ensuite j’aperçus des chariots d’émigrants en devoir de camper sur la plaza et j’appris qu’ils avaient récemment traversé le pays des Indiens hostiles où ils avaient été assez maltraités. Je développai cet item autant que me le permirent les circonstances et je sentis bien que, si je n’avais pas été retenu en d’étroites limites par la présence des reporters des autres journaux, j’aurais pu ajouter des épisodes qui eussent rendu mon article beaucoup plus intéressant. Cependant j’avisai un chariot qui poursuivait son chemin vers la Californie et je posai quelques questions judicieuses à son propriétaire. Lorsque j’appris par ses brèves et sèches réponses qu’il repartait certainement et qu’il ne se trouverait plus en ville le lendemain pour faire un esclandre, je pris le dessus sur les autres journaux, car j’inscrivis sa liste de noms et j’ajoutai sa troupe aux tués et aux blessés. Ayant ici mes coudées franches je fis subir à ce chariot une attaque d’indiens restée sans parallèle dans l’histoire.

Mes deux colonnes étaient remplies. En les relisant le lende-