Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/14

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reins, et dont la façade était percée de deux fenêtres à petits carreaux qui n’éclairaient pas beaucoup la chambre, car, dans les campagnes, la lumière est si commune qu’elle n’y semble pas une chose précieuse. Le mur pignon porte des anneaux auxquels on attache les chevaux que l’on ferre et donne sur une ruelle aboutissant à des jardins. Dans une annexe est installée la forge et la maison offre quelques commodités à cause de la cour où se trouve un four, de l’emplacement du fumier et des écuries à lapins. Ceci même fait partie de notre corps comme nos vieilles habitudes, comme les mouvements de nos jambes et de nos bras. La chambre était grande et obscure avec des solives noires au plafond, deux lits alignés dont les pieds se faisaient face, que séparait une armoire, avec ses vieux usages dans tous les coins : les paniers pendus à la grosse poutre, le coffre aux pommes de terre, la place du seau entre une fenêtre et la porte, celle de la glace entre la porte et l’autre fenêtre, avec ses vieilles chaises que l’on connaît par leurs noms et avec la table ronde dont on abat les pans, qui reste au milieu et qui a l’air, lorsqu’on est absent, de la maîtresse de la maison. Les lits avaient des rideaux de cretonne rouge à fleurs jaunes et rien que cela empêchait la chambre de paraître nue.

Dans la forge il avait battu le fer pendant trente ans. À l’époque de son mariage avec la Françoise, âgé de trente-trois ans, il avait monté cette petite boutique parce qu’un fonds de maréchal coûte trop cher et que tout le monde n’a pas ses avances. Jacques et François, les deux garçons y avaient appris leur métier. Ce métier de maréchal-ferrant est dur et même dangereux à cause des coups de pied de chevaux, mais quand l’on est fort, celui-ci ou un autre, tous les métiers se valent pourvu qu’on arrive à manger du pain. D’ailleurs ils ne s’en trouvaient pas mal, puisque Jacques avait réussi à entrer au chemin de fer où, comme il avait envie de bien faire, il était arrivée à passer mécanicien. Quant à François, il travaillait chez un patron et il aimait à boire un coup : à part ça, pas mauvais ouvrier. Il avait fait aussi des apprentis qui restaient chez lui quatre ou cinq ans, jusqu’à ce qu’ils fussent en âge d’aller là où l’on touche un salaire d’homme. Il ferrait les chevaux des gens de la campagne, après quoi