Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/172

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même. Il me semble donc que, si j’avais des enfants, je leur ferais comme il m’a été fait, mais en introduisant quelque méthode dans ce mode d’éducation, de façon à ce que la liberté absolue de l’esprit et du corps n’empêche pas la connaissance progressive, logique, large et profonde des choses de la pensée. Mais il faudrait opposer ici tout un système qui est une de mes rêveries favorites…

Si, maintenant, j’aborde la question de l’enseignement tel qu’on le pratique d’ordinaire, je dirai que je ne la connais que par les troupeaux de collégiens en uniforme et en rang que j’ai vus passer avec de pauvres figures de forçats précoces, menés par quelques garde-chiourme effrayants à regarder. Et je sais bien qu’il est abominable d’enfermer l’enfance, de martyriser l’enfance et l’adolescence qui sont, pour la plupart des êtres, la seule oasis du désert de vivre. Je crois, j’espère qu’un temps viendra où l’on fermera les yeux d’horreur en songeant qu’à une époque lointaine il était possible de punir l’enfance et l’adolescence par le bagne des collèges, que les jeunes condamnés étaient envoyés de là au régiment et que, de travaux forcés en travaux forcés, leur jeunesse passait, escamotée par le crime collectif des parents, des professeurs et des gouvernements.

Voilà, je pense, l’usage actuel qu’on fait du mot « liberté » dans cette question de l’enseignement. De la sorte, on prépare deux lamentables catégories d’êtres : les moutons dociles qui sont le « Tout le Monde » veule, persuadé, écœurant, qu’on coudoie dans la vie, et les « révoltés » qui ont amassé leur colère dès le petit lycée et se vengeront de tout le mal qu’on leur a fait par quelque geste faux et inutile…

Bien peu rétabliront la balance entre ce désiquilibrement néfaste et la pesanteur du bourgeois. Et pourtant ce n’est qu’en ces quelques-uns que nous avons foi pour mener à bien la révolution pacifique qu’il est grand temps d’accomplir au nom de ces petits martyrs pâlots que nous avons vus passer parfois, en uniformes et en rang, quand nous regardions par les fenêtres.

De M. Anatole France :

En sa demeure que décorent des saints, des anges de bois et de pierre, des fragments de dalles et toutes sortes d’attributs d’église, vestiges des époques de foi, la tête fine, amenuisée, coiffée d’une calotte rouge, évoquant bien l’image de quelque lettré de la Renaissance, d’un Montaigne dont le scepticisme perdrait seulement un peu de sa saveur de ce qu’il ne s’épanouit plus en un milieu de fanatisme. M. Anatole France fortifie encore cette impression en étayant son argumentation sur de vieux textes religieux.

J’ai été élève de Stanislas, c’est dire, n’est-ce pas, que je me suis développé dans un sens contraire à celui de l’éducation reçue. Mais cet effet est loin d’avoir été général parmi les élèves, car en somme, Stanislas a surtout fabriqué des cléricaux, des hommes d’esprit rétrograde. Je pourrais en citer beaucoup, tels par exemple : Cazot. Jules Roche, etc… »

Nous posons la question de savoir si l’affranchissement de la pensée n’est pas autant et même plus affaire de tempérament, de caractère, que de culture et de savoir.