Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/173

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« La somme de crédulité est à peu près la même à travers les âges. Notre physique n’est évidemment plus celle du moyen âge et nous nous trouvons de ce fait débarrassés de bien des superstitions : mais sur la métaphysique, les idées ont peu changé. Ainsi, l’incrédulité n’est pas absolument une conséquence de la science, car j’ai retrouvé un texte d’un théologien de 1429 et du Dauphiné, pays alors plongé dans la barbarie, texte qui est très probant à cet égard. Ce théologien constate que de nombreux docteurs de cette région croient à l’existence de Dieu, mais d’une façon qui vaut une négation, puisqu’ils n’admettent pas l’intervention divine dans les affaires terrestres ; c’est en somme la négation de la prière, de toute la religion, c’est de l’athéisme.

Et, en plein moyen âge, Abélard, pur rationalisme, n’est-il pas aussi éloigné de saint Thomas d’Aquin que Renan a pu l’être de l’évêque Dupanloup ?

Aussi tout cela est-il fort complexe et notre questionnaire, très difficile, nécessiterait-il une longue réflexion. Je vous écrirai. »

La lettre de M. Anatole France ne nous est pas encore parvenue, mais cette conversation, par son indécision même et le scrupule qui la termine, constituait une réponse qui valait d’être publiée.

De M. Fernand Gregh :

J’ai été élevé dans deux établissements de l’État, aux lycées Michelet, comme interne, de 1880 à 1890, et Condorcet, comme externe, de 1890 à 1893. L’internat est un régime affreux, dont j’ai gardé un si mauvais souvenir qu’il m’arrive encore de rêver que je suis interne et de me réveiller en sursaut, de l’angoisse que j’éprouve. L’externat au contraire mêle la liberté de la vie à la discipline scolaire, et me fut particulièrement agréable dans ce Condorcet si ouvert et comme traversé de porte à porte sous ses voûtes sonores par un éternel courant d’idées. Je suis donc pour la suppression de l’internat, qui semble d’ailleurs se faire peu à peu d’elle-même, et pour l’extension la plus large possible à tous les enfants du régime de l’externat. À défaut d’externat, qu’on crée beaucoup de maisons semblables, par exemple, au collège de l’Île de France, à Liancourt, où les enfants, malgré qu’ils soient loin de leur famille, vivent dans une atmosphère familiale, et même s’ébattent sous de grands arbres qu’ils ne trouveraient pas à Paris.

2. L’influence que les lycées de l’État où j’ai été élevé ont exercée sur moi ? Je la sens considérable et bienfaisante. Certes, elle n’est pas toujours la même. Au lycée Michelet (à Vanves), nous étions un peu lourds, un peu gauches, comme des ruraux, enfermés parmi leurs bouquins loin de la ville, et loin de la vie ; — mais nous étions, si je ne me trompe, francs et sains. Nous avions horreur du mensonge, de la délation, de l’hypocrisie. Nos professeurs étaient d’honnêtes gens : quelques-uns, Dumas, Bourgoin, étaient très distingués, et un, supérieur, Gustave Lanson. À Condorcet, en pleine ville et au murmure tout proche de la vie, les idées étaient plus alertes, plus vives, plus artistes : c’est à Condorcet que A. Darlu a nourri dix générations de sa généreuse pensée.