Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/18

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Alors Grados, le sacristain, se levait comme à l’appel de Dieu et lui coupait la parole en criant :

— C’est mon plus fort, c’est mon plus fort !

Ainsi l’on avait des principes, et le monde était sans mystère.

Il y avait doux sortes d’ouvriers : les ouvriers pauvres et les ouvriers aisés. Les ouvriers pauvres pratiquaient des métiers de tisserand ou de sabotier et leurs femmes allaitaient des gosses, traînaient à leurs jupes de la marmaille et rôdaient dans les maisons en disant : « Allons, je n’ai même pas eu le temps de me changer. Regardez donc comment je suis faite. Et puis, va falloir encore que je fasse une culotte au Baptiste. D’ailleurs, avec les enfants on n’a jamais fini. » Quelques-uns avaient de bons métiers, des métiers de cordonnier où l’on n’est pas embarrassé pour gagner une pièce de cent sous dans sa journée. Mais, dame ! sans soin ! Et puis se soignant bien, prenant bien toutes leurs aises : « Té donc ! on arrivera comme on pourra. » Et puis ne se faisant pas faute de faire tort. D’ailleurs, qu’on aille partout où l’on voudra, on est sûr de les rencontrer : au café et dans toutes les parties de plaisir.

Les ouvriers aisés vivaient dans des maisons propres, avec des idées carrées dans tous les coins de la chambre et qui luisaient sur les meubles, s’asseyaient sur la table et bouillaient avec l’eau de la marmite pour la soupe du matin et du soir. Fixés dans leur attitude de travail, ils tournaient avec les aiguilles de l’horloge tout autour d’un centre vital d’ordre et d’économie. Une sagesse délimitée au cordeau bordait leur vie et les poussait en avant. On appelle cela : avoir envie de bien faire.

Il y avait les bourgeois. Les bourgeois sont importants comme le bruit, comme la richesse et comme la science. Leurs maisons ont des salons, des écuries, des jardins. Ils se fréquentent l’un l’autre et parlent avec une voix purifiée parce qu’ils sont allés dans les écoles pour y apprendre les belles manières et perdre leur accent. Ils ont des domestiques et des chevaux et cela semble multiplier leur vie et la mettre dans un carrosse qui la roule à son aise et la mène à toutes les satisfactions. Les uns sont républicains et dégourdis. Alors ils se rapprochent beaucoup plus de l’ou-