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niscences et de pastiches. Mais je n’ennuyais pas encore les gens avec ma littérature.

En réalité, je n’ai jamais subi que les influences successives et contradictoires de mes lectures, car je lisais tous les livres qui me tombaient sous la main. J’étais très romanesque, et, naturellement, très hypocrite, puisque les filles de quinze ans sont obligées de l’être, quand elles sont « bien élevées ». Et j’aurai beau faire, moi qui suis une mère libérale et sans préjugés, quand ma fille aura quinze ans, elle sera aussi un peu hypocrite, et ne me dira pas toutes ses pensées. Et les pédagogues auront beau se mettre en quatre, ils n’arriveront jamais, jamais, à comprendre ce qui se passe dans la cervelle d’une gamine… Ah ! oui, que je suis sceptique sur les fameux résultats de l’éducation !…

3° et 4° Pour ce qui est de vos dernières questions, j’aime bien mieux n’y pas répondre. Je dirais probablement des bêtises, car je n’ai pas assez réfléchi sur ce sujet, et d’ici le premier juin, j’ai à faire des tas de choses plus intéressantes que de penser à la loi Falloux. Mais tout de même, puisque la liberté de l’enseignement parait dangereuse à des gens mieux informés que moi, est-ce qu’il n’y a pas d’autres libertés non moins dangereuses, celle de la presse, par exemple… Et celle de l’ivrognerie !… Et celle de la prostitution ?… Si l’on supprime toutes les libertés « dangereuses ». que restera-t-il de la liberté ?… Non, c’est un problème trop compliqué pour que j’aie la prétention de le résoudre en quelques lignes…

De M. Félix Vallotton :

J’ai fréquenté jusqu’à dix-sept ans un collège suisse, établissement tout ce qu’il y a de plus laïque. — Des années passées là, je n’ai gardé qu’un vilain souvenir, j’y pense rarement et toujours avec ennui : donc j’aime à croire que ce stage a eu sur le reste de ma vie une action plutôt médiocre. — Personnellement, je me sens dépourvu de toute reconnaissance envers l’État protecteur, comme envers le pion son disciple.

À dire vrai, rien ne m’a intéressé qu’à partir de ma libération ; j’ai spontanément compris que sept ou huit années d’assiduité somnolente, de pensums et de cris professoraux avaient peu de nécessité ; ce fut un beau jour.

Le fin mot, je crois, c’est que pour un garçon, dix-huit ans sont longs à atteindre ; les parents sont nerveux, la jeunesse bruyante. On a pris le parti de l’enfermer. Pour retirer à cette peine tout caractère infamant, la société, sous forme d’un personnel spécial, y expose et professe la somme de son savoir et de ses erreurs. Tout cela militairement !… Après tout, j’étais peut-être un cancre.

Maintenant, que cet enseignement soit libre, ou pas libre ; qu’il puisse l’être plus ou l’être moins, je ne sais plus trop, puisque pour moi la liberté ne commence qu’après. — La question se présente plutôt ainsi : L’enseignement dit : libre, c’est-à-dire religieux, a sur celui de l’État dit : officiel, une avance considérable ; il est parti plus tôt, aussi les résultats sont-ils un peu connus d’avance… Ce n’est pas juste, clame l’État