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… Si nous nous sentons démanger devant des dames, nous avons des artifices pour nous gratter en publie sans être vus ; si c’est à la cuisse, nous racontons que nous avons vu un soldat traversé de part en part à cet endroit ; nous portons la main à la place où cela nous démange, et nous nous grattons en feignant d’indiquer la blessure. Si cela nous arrive à l’église et que ce soit la poitrine qui nous démange, nous donnons le Sanctus, quand même on n’en serait qu’à l’Introïbo. Si c’est au dos, nous nous levons, et, nous appuyant à un angle, nous nous haussons sur la pointe des pieds comme pour voir quelque chose.

Quant à Pablo lui-même, fils de larron et de sorcière, neveu de bourreau, étudiant à Alcala, mais désireux surtout de conquérir ses grades dans cet art que son père définissait « non mécanique, mais libéral », le vol ; ruffian à ses heures, batteur de pavés et pourfendeur d’alguazils après boire, sympathique toujours, c’est un Panurge. Les vieux traducteurs le nomment : le Grand Taquin. Il amuse par ses bons tours et par ses mésaventures. Une entre mille est d’une bouffonnerie épique, son jeune forcé dans la pension du licencié Cabra :

… Ayant demandé les commodités à un ancien, il me dit :

Je ne sais pas ; dans cette maison, il n’y en a pas ; pour une fois que vous aurez ce besoin, tant que vous serez ici, satisfaites-le comme vous pourrez ; car il y à deux mois que je suis dans cette maison et je n’ai fait telle chose que le jour de mon entrée, comme vous à présent, parce que j’avais soupe chez moi la nuit précédente. »

D’autres épisodes donnent prétexte à une spirituelle satire littéraire ou à la complication de tendres intrigues : car Pablo finit par se faire galant de nonnes, acteur et poète. Verlaine s’est sans nul doute souvenu de ce personnage dans le choix du pseudonyme — d’ailleurs son propre prénom — dont il signa une petite plaquette, assez rare, laquelle contient les pièces les plus libres de Parallèlement : Pablo Herlañez, à Ségovie. Mais quels que soient les avatars du héros de Quevedo, l’impression de couleur, de vie intense ne décroît jamais. Cette vie fut d’ailleurs souvent l’existence de Quevedo en personne, et c’est de celle-ci même, bien plus que du roman que s’inspira Lesage en maints endroits de son Gil Blas. Quevedo avait étudié en Alcala avant le Pablo qu’il inventa ; et, avant lui et bien qu’il fût un très honnête homme de lettres, il acquitte droit d’intituler nombre de chapitres de ses aventures, à l’exemple du chapitre XVI de celles de Pablo : « Où l’on continue sur le môme sujet jusqu’à la mise en prison de tout le monde. »

Au sortir d’une Espagne aussi pittoresque, il semble qu’on doive perdre à jamais le goût d’un voyage dans l’Espagne con-