Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/353

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s’en rendent coupables, ceux-ci ont soin de s’adresser à un gradé d’un autre corps que celui de la justice militaire : — le plus souvent, au médecin-major qui passe la visite médicale, à un officier de visite ou à tout autre supérieur étranger à la chiourme ; quelques-uns même, que l’éloignement dans un camp du sud ne permet pas d’être mis en présence d’autres gradés que ceux de la chiourme, n’hésitent pas à commettre un fait justiciable du conseil de guerre — une lacération d’effets d’uniforme, par exemple (une « salade ». en argot de travaux publics) — afin de se livrer à une voie de fait sur un des membres du tribunal militaire qui le jugera pour cette lacération d’effets, et ils n’auront pas à craindre ainsi le revolver de la chiourme. Une chiquenaude, un bouton ou un képi lancé dans la direction du supérieur et l’effleurant, suffisent pour obtenir la condamnation à mort convoitée. Mais c’est là un moyen dangereux, bien que fréquemment employé ; les conseils de guerre ne se décident pas toujours à prononcer la condamnation à mort, et se contentent d’augmenter de dix années de travaux publics le bilan des condamnations du prévenu ; je sais des hommes qui, depuis des années, recherchent de la sorte la condamnation à mort qui les délivrera, mais, poursuivis par la malchance. c’est en vain que se succèdent leurs comparutions devant les conseils de guerre ; ceux-ci persistent à prononcer des peines de travaux publics, dont les années vont s’accumulant interminablement. Quelquefois aussi, la clémence escomptée du chef de l’État se refuse, et les douze balles du peloton d’exécution viennent délivrer enfin le misérable.

La peine de mort prononcée par les conseils de guerre est de deux sortes : la peine de mort avec dégradation militaire, et la peine de mort simple. Le rapporteur de la commission chargée, en 1829, d’examiner le premier projet du code de justice militaire, s’exprimait ainsi : La commission a pensé que le législateur attacherait en vain l’infamie à un fait coupable, si l’opinion publique se refusait à y reconnaître cette immoralité profonde, cette perversité du cœur, et cette soif du sang qui entraînent au vol et à l’homicide. Déjà, cette distinction entre les crimes communs et les crimes militaires se trouve dans les codes étrangers ; et même, il existe des différences dans l’exécution de la peine. Ainsi, la loi militaire helvétique connaît la mort avec infamie ou sans infamie. La première est reçue par derrière, et la seconde par devant… « (C’est la même différence que celle existant aujourd’hui en France entre la « mort avec dégradation militaire » et la « mort simple ». Cette dernière est considérée comme une « mort au champ d’honneur », malgré qu’elle soit l’exécution d’une condamnation prononcée. La première, au contraire, conserve tout son caractère d’infamie). «… La disposition que nous vous prions d’admettre, ajoutait le rapporteur, est tellement dans nos mœurs militaires, et par conséquent inhérente à l’honneur français, que naguère, un militaire condamné à la peine de mort pour voies de fait envers son supérieur refusa une commutation de peine. La mort lui paraissait préférable aux travaux forcés, parce qu’il n’attachait à la peine capitale, encourue pour insubordination, aucun caractère d’infamie et de déshon-