Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

stérilisés) à l’abri de l’envahissement par la vie, ont amené un mouvement de réaction contre cette manière enfantine d’envisager les choses ; mais, comme cela arrive souvent, le mouvement de réaction a dépassé le but. On avait cru autrefois qu’il suffisait de la présence de substances alimentaires dans un liquide, bouillon ou infusion, pour que, à une certaine température, des êtres vivants y apparussent ; aujourd’hui, avec notre connaissance de la chimie, nous sentons toute l’invraisemblance de cette manière de voir. Les substances vivantes ayant une structure chimique bien précise, il serait fort extraordinaire que ces substances apparussent, sans aucune cause spéciale, dans un milieu quelconque contenant leurs éléments constitutifs. Il ne serait pas plus invraisemblable d’affirmer que, dans tout liquide contenant du carbone et de l’hydrogène, il doit apparaître de la benzine !

M. Pasteur a fait justice de cette erreur ; il a montré qu’on peut, avec certaines précautions, conserver du bouillon dans un vase sans que des animalcules s’y forment ; mais de là à soutenir l’impossibilité de la génération spontanée dans certaines conditions très précises, il y a loin ! C’est comme si, avant que la synthèse de la benzine eût été réalisée, on avait déclaré impossible la fabrication de ce corps parce qu’il ne s’en forme pas dans un liquide quelconque contenant du carbone et de l’hydrogène ! La plupart des biologistes croient aujourd’hui avec Lamarck que la génération spontanée de substance vivante a été réalisée, une fois au moins, à la surface du globe, dans des conditions très précises, et que ce phénomène se renouvellera dans les laboratoires quand on saura mettre en présence les mêmes éléments dans les mêmes conditions.

Mais il est bien certain aussi que cette substance vivante, identique à celle qui a apparu jadis sur la terre, n’affectera pas la forme d’une espèce actuelle d’infusoires ou de vibrions. Ce que Lamarck dit des aigles et des lions est vrai également de la plus modeste des formes unicellulaires : « Si l’espèce entière venait à être détruite, les facultés réunies de la nature n’auraient, de longtemps, le pouvoir de la faire exister de nouveau. » La substance d’un infusoire actuel, porte, de même que celle des aigles et des lions, le fardeau des hérédités accumulées au cours de circonstances variables pendant des millions de générations successives. Le jour où on arrivera à faire, par synthèse, de la substance vivante, peut-être sera-t-il difficile de s’en apercevoir, car elle ne ressemblera à aucune de celles que nous connaissons et qui conservent la trace d’une évolution prolongée ; probablement aussi, si l’on en fait un jour, ailleurs que dans un milieu stérile, cette substance disparaîtra-t-elle bien vite dans la lutte pour l’existence avec les espèces actuelles mieux adaptées…

Quoi qu’il en soit, aucun résultat expérimental ne tend à prouver jusqu’à présent l’impossibilité de la génération spontanée ; si elle n’a pas été réalisée encore dans les laboratoires, il faut bien dire aussi qu’aucune recherche vraiment scientifique n’a été entreprise dans ce sens ; et nous avons le droit de penser, comme Lamarck, que la géné-