Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/470

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d’un travers d’esprit analogue à celui qui pousse à vouloir expliquer l’origine de la matière ; c’est vouloir comparer le monde à une rivière, à un jeune animal, à une flèche lancée par un homme, toutes comparaisons notoirement illégitimes ; c’est vouloir appliquer au monde le langage destiné à raconter l’histoire de l’homme ; c’est une erreur anthropomorphique.

L’usage même du mot « Loi » expose à des erreurs analogues ; le mot loi a été emprunté à l’histoire de l’homme et a tiré son origine de la croyance à l’existence d’un homme immortel, d’un Dieu créateur et législateur du monde. Ce que nous appelons « les lois naturelles », cela se réduit en fin de compte à la constatation de transformations de mouvements, transformations qui se produisent en nous comme au dehors de nous et grâce auxquelles nous sommes et connaissons ; c’est sortir volontairement de la logique que de rechercher l’essence de choses dont nous sommes nous-mêmes une résultante, nous et notre, conscience investigatrice ; cela ne peut conduire qu’à des divagations sans fondement ; c’est métanthropique.

Ce qui est important, pour le philosophe, dit l’abbé Hébert, « c’est seulement affirmer la réalité, l’objectivité de l’Idéal. » (p.6). Cela est important, me semble-t-il, beaucoup plus pour le poète que pour le philosophe ; aussi est-ce à un poète que s’adresse l’auteur quand il veut trouver une justification de la substitution du Divin à Dieu :

« Dire le Divin au lieu de Dieu, c’est sacrifier l’image pour sauver l’idée. Question de mots, objectera-t-on ? Nous répondrons avec un penseur moderne (Maeterlinck) : « Il est bien rare qu’un mystère disparaisse ; d’ordinaire il ne fait que changer de place. Mais il est souvent très important, très désirable qu’on parvienne à le changer de place. D’un certain point de vue, tout le progrès de la pensée humaine se réduit à deux ou trois changements de ce genre ; à avoir délogé deux ou trois mystères d’un lieu où ils faisaient du mal dans un autre où ils deviennent inoffensifs, où ils peuvent faire du bien. Parfois même, sans que le mystère change de place, il suffit qu’on réussisse à lui donner un autre nom. Ce qui s’appelait « les dieux » aujourd’hui on l’appelle « la vie ». Et si la vie est aussi inexplicable que les dieux, nous y avons du moins gagné que personne n’a le droit de parler ou de nuire en son nom. »

Il s’agit de s’entendre sur le mot mystère. Les mystiques, comme l’auteur du Temple enseveli, aiment à en voir partout, mais il y a mystère et mystère ; il y a des choses restées encore inconnues dans le monde accessible à l’homme, et il y a en outre des questions, notoirement insolubles, que l’homme se pose dans