Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/469

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est personnel… c’est oublier… que la personnalité humaine (à laquelle nous le comparerions) nous apparaît comme quelque chose d’essentiellement variable qui se fait, se réalise sans cesse. Il s’ensuit donc que nous ne pouvons affirmer la personnalité de Dieu, pas plus que nous ne pouvons lui appliquer les catégories d’espace et de temps. » J’ai moi-même soutenu cette même idée dans le Conflit (pp. 251-252), et je pense que c’est un des meilleurs arguments contre ceux qui personnifient Dieu.

Mais je me sépare de l’abbé Hébert quand, au Dieu personnel, il veut substituer le Divin impersonnel.

« Avouons-le donc, dit-il (p. 6) : la Réalité, en tant qu’elle se manifeste comme puissance active, ne représente ni une toute-puissance, ni une toute-science, ni une toute-bonté, bien plutôt une gigantesque, une incommensurable force qui, à tâtons, sans jamais se lasser, poursuit à travers d’innombrables essais, son incessant effort vers le mieux, vers l’Idéal. Cet Idéal, loi vivante, vraie vie de toute vie et non loi abstraite comme celles d’un manuel de physique ou de chimie, la Réalité le porte en elle-même comme la loi propre de son évolution ; voilà pourquoi, en définitive, la résultante des forces du monde est orientée dans le sens du Bien. »

Enlevez de cette phrase les mots qui n’ont pas de sens précis, il n’en restera plus rien. Avoir nié l’existence d’une personnalité directrice du monde, pour admettre ensuite celle d’une force directrice, c’est se payer de monnaie bien légère ; car si l’on veut chercher aujourd’hui ce que signifie le mot Force, on est bien obligé d’admettre que ce mot représente précisément la personnification, dans le langage, d’une résultante de mouvements. La notion de force est venue de la constatation de l’effort produit par l’homme : elle a une origine anthropomorphique comme le notion de Dieu, et elle est du même ordre. Quand on parle de la force, appelée poids, qui, sans cesse, sollicite une masse vers la terre, on pense à une personne qui tire sur le centre de gravité de cette masse ; cela peut être commode, dans le langage, pour représenter une résultante de mouvements compliqués, mais c’est dangereux pour les discussions philosophiques ; dans la phrase précédente, l’abbé Hébert considère évidemment cette force gigantesque et incommensurable comme une personnalité à laquelle il refuse la toute-science et la toute-bonté, mais à laquelle il accorde néanmoins la notion du mieux, de l’idéal, vers lequel tend son incessant effort.

Et qu’est-ce que « cet Idéal, loi vivante, vraie vie de toute vie ? » Ce sont là de jolies expressions pour une période oratoire, mais qui ne signifient rien. Rechercher le but du monde, est le résultat