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Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/573

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bizarrement incomplet. Les femmes qui l’avaient plus ou moins remué — et la plupart ne s’étaient guère douté qu’il eût fait la moindre attention à elles, il avait dû, tête et cœur refroidis, sens calmés, les diviser en deux « espèces » fort distinctes : les unes n’avaient parlé qu’à son imagination et à sa tendresse ; les autres, il s’était borné à les convoiter grossièrement, salement (telles ses propres expressions).

Il n’eût jamais songé à obtenir des premières une privauté un peu significative. Quant aux femmes de la seconde catégorie, il ne voyait en elles que des femelles belles ou non qui l’attiraient de la façon la moins idéale, — tout disparaissait devant leur sexe « et dépendances » (encore une de ses aimables façons de s’exprimer).

Une seule demeurait en dehors de sa « classification » : Pepa, la Pepa d’antan, la méchante railleuse à laquelle il pardonnait maintenant, — Pepa, sa Pepa ! Ah ! celle-là ! Il eût voulu, à ses pieds, balbutier comme un enfant, sous la blancheur des étoiles moins pures que tels rêves qu’elle inspirait, mais tout de suite après, la prendre sauvagement, avec furie, la dévorer d’abominables caresses. Il n’avait connu, ne connaîtrait jamais qu’un seul amour complet : Pepa !

« Mais, brute ! pensa-t-il, tu vas gâter par des divagations baroques une belle journée de saine joie animale. Elle est loin, ta fameuse Pepa, sans doute grosse comme une tour à l’heure qu’il est, — et comme une tour croulante, encore ! Elle a dû épouser, il y a longtemps, quelque agréable macaque de sang « bleu » mais avarié, dont la laideur s’adoucit d’un joli reflet de millions. C’est une de ces aristocratiques dondons qui se gavent de « dulces », ont un faible pour le jerez et le malvoisie et dorment après leur repas avec un gros chien puceux sur les genoux. Elle reçoit des visites de chanoines nonagénaires et de vieilles dames à mantilles qui portent un petit crachoir à couvercle et une seringue dans leur ridicule. Deux fois par an, elle va jouir de la grande vie de Santa-Cruz, voit au Théâtre municipal une reprise de pièce du temps de Pélage, à la « Plaza », une course de fantômes bovins brouillés avec les bouchers, revient au Puerto ou à La Villa de La Orotava dans une voiture à ressorts spéciaux, — et les chevaux en ont pour un mois à se remettre de l’avoir traînée aller et retour. Après cela, elle se purge et renouvelle sa provision de malvoisie !… »

Mais, encore une fois, que signifiait cette vision si claire, in-