Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/172

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C’est ici qu’apparaît un des aspect les plus répugnants de ce drame policier. Pour arracher aux hommes arrêtés arbitrairement des aveux contre eux-mêmes, des témoignages contre leurs compagnons, les autorités ne reculèrent pas devant les traitements les plus barbares. Les traditions inquisitoriales se retrouvèrent sur la terre classique du Saint-Office : on eut recours à la torture. Voix montant des tombes profondes, des lettres sont venues du bagne, qui racontent ce que les accusés eurent à souffrir. Il suffit d’en citer de courts passages. Antonio Valera écrit du pénitencier de la Gornera.

Un lieutenant de la garde civile, dont je ne me rappelle pas le nom, après si longtemps, avec une paire de pharisiens à ses ordres, commença l’interrogatoire de Salvador Moreno et de Manuel Gago, et ces malheureux voyant qu’on les chargeait d’accusations inconnues, les déclarant voleurs et incendiaires, refusèrent absolument de faire une déposition, parce qu’ils étaient innocents et n’entendaient rien à ce qu’on leur demandait. À ce refus, ces bourreaux répondirent par des coups de garrote, et le lieutenant, mécontent de voir que les choses n’allaient pas à son goût, leur dit :

« Tapez dur, jusqu’à ce qu’ils disent oui à tout ce qu’on leur demande », et quand ils virent qu’ils n’en pouvaient tirer ce qu’ils voulaient, ils les mirent dans une chambre qui leur, servait de cachot.

Quand ils pensèrent que les plaies qu’ils avaient faites en frappant de façon si barbare, ces deux malheureux, devaient avoir affaibli leur résistance, ils revinrent vers eux et, réitérant les mêmes questions, ils doublèrent les coups sur la trace de ceux qu’ils avaient déjà donnés. Comme un muletier en fureur crible de coups sa bête, les barbares de la benemerita s’acharnaient sur ces malheureux. La nuit venue, ils les tirèrent de la ferme, les menèrent à un endroit retiré où personne n’entendrait leurs plaintes, leur donnèrent une nouvelle bastonnade ; ils les éloignèrent l’un de l’autre de façon qu’ils ne puissent plus se voir, et, tirant des coups de fusil, ils dirent à chacun que l’autre était mort et que s’il ne disait pas la vérité, on le tuerait de même.

Du pénitencier d’Alhucemas, Salvador Moreno écrit :

S’il était possible de raconter, un par un, les tourments cruels dont nous fûmes victimes, on verrait que nos bourreaux, plutôt que des êtres humains, devaient êtres des hyènes altérées. Qu’il suffise de dire que la garde civile ne se donnait pas un moment de repos, frappant les gens dans les champs, commettant sur eux les plus atroces brutalités et ils frappèrent tant et tant quelques-uns d’entre nous qu’au moment de les soigner leur peau s’enlevait, collée aux vêtements, comme si on les écorchait ; pour moi, après une abondante bastonnade, ils m’envoyèrent une décharge de leurs fusils pour m’épouvanter et me forcer à faire une déposition. Lâches ! que pouvais-je dire, si je ne savais rien ? Il en fut de même pour les autres que pour moi. Nous