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L’Existence actuelle de
l’Avenir

Le docteur Socrate Trublet, dans l’Histoire Comique d’Anatole France, émet une opinion singulière :

Comme nous percevons les phénomènes successivement, nous croyons qu’en effet ils se succèdent les uns aux autres. Nous nous imaginons que ceux que nous ne voyons plus sont passés et que ceux que nous ne voyons pas encore sont futurs. Mais on peut concevoir des êtres construits de telle façon qu’ils découvrent simultanément ce qui pour nous est le passé et l’avenir. On en peut concevoir qui perçoivent les phénomènes dans un ordre rétrograde et les voient se dérouler de notre futur à notre passé… Croire que l’avenir n’est pas, parce que nous ne le connaissons pas, c’est croire qu’un livre est inachevé parce que nous n’avons pas fini de le lire.

Maeterlinck est du même avis :

Il est à certains égards tout à fait incompréhensible, écrit-il dans le Temple enseveli, que nous ne connaissions pas l’avenir. Il suffirait probablement d’un rien, d’un lobe cérébral déplacé, de la circonvolution de Broca orientée de façon différente, d’un mince réseau de nerfs ajouté à ceux qui forment notre conscience, pour que l’avenir se déroulât devant nous avec la même netteté, avec la même ampleur majestueuse et immuable que le passé s’étale, non seulement à l’horizon de notre vie individuelle, mais encore de celle de l’espèce à laquelle nous appartenons… Du point de vue absolu où notre imagination parvient à se hausser, bien qu’elle n’y puisse vivre, il n’y a aucune raison pour que nous ne voyions pas ce qui n’est pas encore, attendu que ce qui n’est pas encore par rapport à nous, doit forcément exister déjà et se manifester quelque part. Sinon, il faudrait dire que, en ce qui concerne le Temps, nous formons le centre du monde, que nous sommes les témoins uniques qu’attendent les événements pour avoir le droit de paraître et de compter dans l’histoire éternelle des effets et des causes.

Il est bien difficile de ne pas accorder quelque fondement à une assertion aussi clairement exprimée par deux auteurs de tendances si différentes ; et cependant, en y regardant de près, on voit que la magie du langage dissimule un sophisme. Puissé-je