Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/568

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ainsi donc, la narration globale des phénomènes peut rendre de grands services ; elle a montré entre les mains de Darwin ce qu’on est en droit d’attendre d’elle. Lamarck, au contraire, n’a pas songé à employer cette forme particulière de langage et c’est pour cela que ses merveilleux principes n’ont pas paru, au premier abord, donner une explication complète de l’évolution progressive des animaux :

J’observe un animal ; je remarque qu’il s’adapte aux conditions ambiantes et qu’il agit comme il faut pour ne pas dépérir dans ces conditions particulières. Si moi, observateur, je ne me savais pas construit à peu près comme cet animal que j’observe, je ne penserais pas à lui appliquer ce que je sais de moi-même et je raconterais d’une manière globale le fait de son adaptation aux circonstances qui l’entourent ; je dirais que le mécanisme de l’animal a réagi dans son ensemble, et de telle ou telle façon, aux stimulus provenant de l’extérieur. Ce serait toujours la narration à la manière du chien, avec la suppression des phénomènes intermédiaires. Le langage darwinien appliqué aux tissus, nous permettra, je l’espère, de raconter de cette manière globale l’adaptation au milieu des animaux les plus complexes.

Malheureusement, moi observateur, je reconnais en moi-même l’analogue de l’animal observé et j’ai une tendance invincible à considérer comme simples les phénomènes familiers qui se passent en moi ; or je divise toujours mon activité particulière en trois parties distinctes : d’abord la perception, par le moyen de mes organes des sens, des stimulus provenant de l’extérieur, ensuite la réflexion dans mon for intérieur et enfin la détermination qui me pousse à agir de telle ou telle manière. Je prête donc à l’animal la même division des phénomènes en trois parties, la partie centripète, la partie centrale et la partie centrifuge et, à un certain point de vue, je n’ai pas tort d’agir ainsi, car l’analogie me permet de penser que l’animal est conscient comme moi-même ; mais j’ai tort en revanche de croire que je simplifie la question en racontant l’activité de l’animal comme je raconterais la mienne propre. Cela serait bon si j’avais le droit de considérer a priori comme des entités distinctes les divers facteurs de mon fonctionnement, si je pouvais admettre que la volonté, par exemple, a la valeur d’un agent producteur de mouvement. C’est là ce que font beaucoup de psychologues et si on les imité il devient évidemment illusoire d’expliquer ensuite la volonté de l’homme en partant de l’étude des animaux, le but de la biologie, qui est d’expliquer l’homme, n’est pas atteint : je reviendrai un peu plus loin sur cette question à propos de l’erreur anthropomorphique.