Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/569

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Lamarck a employé, pour raconter l’adaptation des animaux au milieu, le langage psychologique auquel je viens de faire allusion ; il a dit que, des conditions nouvelles déterminant chez eux de besoins nouveaux, ils conforment leur activité à ces besoins. Ce langage fait intervenir dans l’adaptation, une divinité intérieure à l’animal, divinité qui connaît, compare et agit. Toute l’œuvre de Lamarck proteste contre une telle interprétation qu’il n’a sûrement pas considéré comme valable ; il a seulement employé le langage courant, mais en cela il commis une imprudence, car quelques-uns de ses élèves, prenant ce langage au pied de la lettre, en ont tiré les conclusions les plus invraisemblables. E. D. Cope, le chef des néo-lamarckiens d’Amérique, voyant dans le besoin ressenti l’origine de la formation des organes, est arrivé à se demander, entre autres absurdités du même ordre, si l’être vivant n’avait pas préexisté à son corps !

Au lieu de raconter les actes des animaux en supposant un homme placé à leur intérieur, employons le langage global qui consiste à dire : « le mécanisme animal réagit sous l’influence du milieu » ; tenons compte seulement du point de départ ; savoir l’ensemble de l’animal et du milieu au commencement de la réaction, et du point d’arrivée, savoir l’ensemble de l’animal et du milieu à la fin de la réaction, sans nous préoccuper des phénomènes intermédiaires. J’espère montrer prochainement que la sélection naturelle appliquée aux tissus permet de prévoir sans hypothèse l’auto-adaptation de l’animal aux conditions extérieures et qu’il y a avantage à définir fonction de l’animal, l’ensemble global que nous venons de considérer, au lieu de limiter la définition de la fonction au seul acte centrifuge ou moteur qui la termine.

Le fait seul que l’emploi du langage darwinien dans de telles conditions nous explique l’auto-adaptation constatée par Lamarck, nous enseignera en même temps le déterminisme biologique que le langage psychologique ne permet même pas de concevoir. Beaucoup de gens croient encore, en effet, à cause de l’emploi courant de ce langage, que l’animal est susceptible de créer du mouvement tandis qu’il est seulement capable de le transformer. Et cette observation nous met en garde contre ce qu’a de factice et de conventionnel la division de la fonction en trois phénomènes, le phénomène centripète, le phénomène central et le phénomène centrifuge ; si le phénomène central est accompagné chez nous d’un éveil plus important de la conscience, cela ne prouve pas qu’il puisse logiquement être séparé de l’ensemble, ni surtout qu’il soit d’essence différente.